Vu et revu au cinéma, dans diverses adaptations, le roman de Victor Hugo a perdu de son rayonnement, en dépit de sa densité et de sa puissance dramatiques. Loin de revivifier l'oeuvre, la version des "Misérables" de Jean-Paul le Chanois, à cause de son académisme et de son approche platement illustrative, propose une lecture appliquée mais morne du roman.
Dans la première partie de ce film en deux époques, le Chanois, en bon homme de gauche, insiste sur l'injustice sociale du temps, mais de là à dire qu'il a un point de vue original...En réalité, sa mise en scène est complètement dépourvue de finesse narrative et de personnalité, et souvent contourne les difficultés d'adaptation, notamment les sous-entendus moraux et psychologiques contenus dans les incidences du sujet, en recourant à une complaisante voix off. En sorte que notre intérêt, inégal, pour le film provient bien plus de la matière romanesque que d'une quelconque qualité cinématographique.
Le Chanois n'ignore bien sûr aucune des scènes emblématiques de l'oeuvre mais pas une d'elles ne témoigne de sensibilité ou d'émotion. Se pose alors la question de l'interprétation, au premier rang de laquelle, évidemment, celle de Jean Gabin en Jean Valjean...Extérieurement, il est incontestablement le personnage. Mais pour le reste, son jeu figé , monolithique, et la quasi inexpression de son son visage privent Valjean de nuances et d'humanité.
A ses côtés, ou plutôt en face, Bourvil compose un Thénardier crapuleux comme il se doit mais pas vraiment détestable, un Thénardier plus pittoresque que convaincant. Dans les deux cas, les personnages d'Hugo ont du mal à exister derrière les acteurs. Somme toute, c'est Bernard Blier, dans le rôle du sévère Javert qui s'en sort le mieux, en dépit que son personnage de policier intransigeant soit, là encore, traité de façon réductrice et superficielle. Les autres figures de Misérables sont purement anecdotiques, tel cet Enjolras interprété par Serge Reggiani, meneur d'une insurrection dont on ne sent pas la flamme révolutionnaire.
Notons, enfin, pour la petite histoire, une étonnante et anachronique réplique de Valjean, sur le point d'être agressé par la bande à Thénardier, formulation de Michel Audiard (jusque là très discret, en toute logique) qu'on imagine davantage dans "Les tontons flingueurs" que dans l'oeuvre hugolienne!