Jessica Palud a eu accès aux plateaux de cinéma très jeune et a toujours aimé l'ambiance des équipes techniques. Elle a commencé par la régie, puis l'assistanat et a ensuite grimpé les échelons sur une douzaine de films pour devenir première assistante réalisatrice sur Welcome (2009) de Philippe Lioret. Elle a créé un lien fort avec le metteur en scène, qui est devenu scénariste et producteur sur Revenir. La cinéaste se rappelle : "Quand j’ai arrêté l’assistanat pour écrire, j’ai eu un coup de coeur pour un roman de Serge Joncour, L'Amour sans le faire. J’ai réussi à le rencontrer, je lui ai dit ce que j’aimais dans son roman, il m’a fait confiance pour l’adapter. Le processus d’adaptation a été assez long, et le film est aujourd’hui une adaptation très libre du livre."
Dans le roman de Serge Joncour "L'amour sans le faire", le héros, parti loin de sa famille, revenait dans la ferme familiale pour annoncer qu’il avait un problème au coeur et qu’il allait mourir. Mais après la sortie de Juste la fin du monde (2016) de Xavier Dolan il n'était plus possible pour Jessica Palud de faire un film centré sur ce retour d'un homme en sursis. Elle se souvient : "Pendant l'écriture, qui a duré plusieurs années et que j’avais entamée seule, j’ai tourné des courts-métrages et des clips un peu à l’arrache. Puis enfin mon court-métrage Marlon, qui a reçu un très bel accueil à travers le monde : j’ai passé les six premiers mois de 2017 à l’accompagner en festivals, j’avais vraiment décidé de profiter de cette aventure, jusqu’aux César 2018 où le film a été nommé. L’accueil de Marlon m'a aidée à lâcher prise dans l’écriture."
Jessica Palud et son équipe ont tourné Revenir dans la Drôme, entre Valence et Montélimar. La réalisatrice voulait une atmosphère chaude et une image lumineuse, pour contrebalancer la dureté de l’histoire. Elle développe : "J’avais aussi envie qu’on croie à la réalité de ces lieux. Les propriétaires de la ferme que nous avons choisie m’ont bouleversée. J’ai passé beaucoup de temps avec eux, le film n’était pas si loin de leur vie : ils ont aussi perdu leurs vaches, leur fils est parti, le père ne lui a plus parlé pendant deux ans… Ce décor avait une âme, même s’il y avait des contraintes compliquées, son exigüité notamment. On a redécoré une partie de la ferme, les intérieurs, les chambres, le couloir, etc. Je voulais du réalisme, mais aussi des couleurs, je ne voulais pas d’un réalisme gris."
Jessica Palud a choisi de filmer très près des corps, de scruter les visages sur lesquels le spectateur cherche à deviner les émotions. La cinéaste souhaitait que le public ait l’impression de bien connaître ces gens. "La caméra à l'épaule est un choix. La mise en place est rapide, on peut se concentrer sur le jeu des comédiens – j’aime la justesse au cinéma. La plus grande contrainte, c’est le temps. Il faut aller à l’essentiel tout le temps, a fortiori avec un enfant de six ans sur le plateau. J’ai eu de la chance d’avoir une équipe passionnée : c’était le premier long-métrage du directeur de la photographie, Victor Seguin avec qui j’avais travaillé sur mon court-métrage, il y avait beaucoup de filles chefs de poste. Pour moi le cinéma est une aventure collective", précise-t-elle.
Pour trouver le petit Roman Coustère Hachez, qui joue Alexandre, Jessica Palud a travaillé avec la directrice de casting Stéphanie Doncker, avec qui elle avait collaboré sur Marlon (son court métrage qu'elle a réalisé en 2017). "On a vu une centaine d’enfants, j’ai eu un coup de coeur pour Roman. Malgré deux handicaps : le fait qu’il soit très myope et que j’allais le faire jouer sans ses lunettes, et son très fort caractère. Mais à l’image, quelque chose se passait avec lui. C’était un choix capital parce que beaucoup d’informations passent par Alexandre – l’enfant parle plus que les adultes. Et puis dans des histoires très dures, les enfants rapprochent les gens… Roman a été incroyable aux essais. J’ai dit à mes producteurs que je ne ferai pas le film sans lui !"
Revenir est un film réaliste, mais traversé de passages symboliques comme la scène d’amour dans la boue ou l’affrontement-réconciliation entre Thomas et son père dans le bois. Jessica Palud explique à ce sujet : "J’aime le romanesque, j’aime que du social on puisse dériver vers la poésie. Je tente de défendre un "naturalisme poétique". La scène dans la boue a une raison d’être psychologique, et un fort caractère d’urgence : s’ils font l’amour, c’est à ce moment-là, dans ces circonstances-là, c’est un acte spontané, une pulsion ici et maintenant. S’ils y avaient réfléchi, ils ne l’auraient sans doute pas fait, et rien ne dit que ça se reproduira. Le bois a de multiples significations : c’est le lieu du drame, que Thomas et son père doivent arpenter, un peu comme un labyrinthe émotionnel, un espace mental, pour mieux se retrouver. Et à la fin, Thomas est obligé de porter son père…"