Pas loin de dix ans après Vilaine, Allan Mauduit revient avec Rebelles, sa première réalisation solo sans Jean-Patrick Benes. Pour l'occasion, il a réuni un trio d’héroïnes de choc composé de Cécile de France, Audrey Lamy et Yolande Moreau. Toutes les trois, qui se donnent la réplique pour la première fois, incarnent des femmes badass à souhait, à la fois courageuses, fortes, brillantes, vulgaires, touchantes et hilarantes. Le fait de réaliser ce long métrage seul impliquait davantage de travail pour Allan Mauduit :
"Avec Jean-Patrick, on est liés par une collaboration et une complicité de longue date qui se poursuivent aujourd’hui avec l’écriture d’un nouveau film. Mais l’idée de Rebelles est partie d’un désir personnel : je l’ai coécrit avec Jérémie Guez, jeune auteur ultra talentueux. C’est un film que je devais réaliser seul, comme l’a fait Jean-Patrick avec Arès, son thriller de science-fiction. Sur le plateau, je dois avouer que j’étais un homme heureux. Honnêtement, je ne pouvais rêver à un meilleur casting, je roulais sur du velours."
Allan Mauduit, qui voulait depuis longtemps réaliser un polar doublé d'une comédie avec des personnages issus de condition populaire, avait cherché pendant sept ans à acquérir les droits d’adaptation d'"Un petit boulot", un roman américain où un chômeur accepte de tuer des gens. C'est finalement Michel Blanc qui a récupéré les droits du livre et qui en a tiré un film porté par Romain Duris. "Rebelles est donc né du renoncement à ce projet. Ça a été un mal pour un bien", confie Allan Mauduit.
L'un des paris de Rebelles a été de ne pas rendre son héroïne immédiatement sympathique. Allan Mauduit voulait ainsi que l’attachement à Sandra soit progressif. Le metteur en scène précise : "Sandra n’est pas aimable. Elle ne veut pas se mêler, sympathiser. Sandra n'a pas réussi à capitaliser sur son titre de Miss Nord-Pas-de-Calais. Revenir dans sa ville natale après 15 ans passés sur la Côte d’Azur est une régression. Ça m'intéressait de montrer ce personnage de femme superficielle à un moment de sa vie où le vernis craque et les artifices de sa beauté s'étiolent. Pour Sandra, les étoiles ne sont plus alignées ; elle a 35 ans et c'est l'heure des comptes (rires). Elle revient à Boulogne-sur-Mer habillée en cagole, avec son manteau de léopard synthétique, ses lunettes bling-bling, son maquillage outrancier et ses faux ongles. Elle a une attitude très méprisante, envers sa mère comme envers ses collègues de l'usine. Son unique objectif est de repartir. Je voulais observer sa mue, l'inflexion de sa trajectoire."
L'une des caractéristiques de Rebelles est d'inscrire la comédie dans le milieu ouvrier, qui est plutôt le terreau des films sociaux, même si plusieurs longs métrages se situant dans ce cadre spatial, comme The Full Monty, Billy Elliot, Slumdog Millionaire ou La Part des anges, ne manquent pas d'humour. Allan Mauduit explique : "Je trouve que le cinéma français manque de personnages de prolos avec lesquels on se marre. La Loi du marché est un film formidable mais, dans la vie des ouvriers, tout n'est pas source de drame. J'ai aussi été nourri à la littérature anglo-saxonne, aux romans noirs américains, à des univers très populaires, et je dois avouer que la littérature et le cinéma français - par nature beaucoup plus bourgeois - me gonflent un peu parfois. Pour Rebelles, je rêvais d'une zone portuaire, de personnages loin des centres-villes proprets et de leurs grands appartements lumineux. De personnages qui se bagarrent pour survivre."
À l’image des héroïnes du film, Boulogne-sur-Mer n’est pas chargé d’une atmosphère dépressive. Allan Mauduit a longtemps hésité sur le choix du décor parce que, selon lui, le Nord est très souvent représenté de telle sorte à souligner sa pauvreté, avec ses corons et ses usines fermées. Il confie :
"Mais il existe peu de conserveries en France : Boulogne-sur-Mer est le plus grand port de pêche français et je tenais à ce que Sandra mette les mains dans le poisson (rires). Cette ville ne m’inspire pas la tristesse : c’est un formidable décor, ouvert sur la mer, propice au polar comme dans la scène où les filles se réunissent de nuit sur les docks pour se débarrasser des conserves compromettantes. Vincent Mathias, le chef opérateur, a fait un très beau travail sur cette séquence. J’avais envie que la mère de Sandra vive dans un mobil-home. Que Sandra, en retournant chez elle se retrouve dans ce décor. J’aimais cette idée à la fois de marqueur social fort et de vie en pleine nature. J’ai donc fait de la mère un personnage de gardienne de camping qui vit à l’année dans son mobil-home. En faisant les repérages, je me suis rendu compte que les campings bon marché d’Île-de-France sont bondés tout l’hiver d’ouvriers étrangers et de familles qui tentent de survivre. En France, on n’est malheureusement plus très loin des trailer parks américains où (sur)vit la classe ouvrière."
Allan Mauduit et son équipe ont tourné Rebelles entre la fin de l’hiver et le début du printemps. Le cinéaste avait écrit un grand nombre de scènes en extérieur pour donner au film une dimension western et confronter les personnages à la nature. Il s’est par ailleurs mis d'accord avec le directeur de la photographie Vincent Mathias sur l’idée de réchauffer l’image, en accentuant les bruns, les ocres et les jaunes qui s’accordent à l’environnement du mobil-home où vit Sandra. Le metteur en scène développe :
"L’autre grande dominante, c’est le vert. Le rouge et le bleu étaient plus rares, circonscrits au cadre de l’usine. Cette recherche chromatique s’est construite au fil des discussions lors de la préparation du film. Les photos de repérage ont été « étalonnées » par Vincent afin que l’esthétique soit fixée avant de tourner. Le travail sur les costumes est la première étape qui me permet de chercher les personnages avec les comédiens. Et ça vaut tous les discours du monde ! Pierre Canitrot, le chef costumier, est un magicien : le look niçois arboré par Cécile de France au début du film a été trouvé dès le premier essayage. Pour celui d’Audrey Lamy, on s’est régalé avec les photos d’Anglaises se lâchant le week-end, les personnages de True Romance ou U-Turn : on a abouti au look « white trash » de Marilyn avec son blouson bleu électrique, ses shorts et hauts improbables, ses pompes incroyables à talons compensés... Pour Yolande Moreau, c’était presque frustrant car Nadine est une femme sobre. On lui a néanmoins trouvé un manteau couleur framboise et une teinture de cheveux roux flamboyant qui lui donnent du chien. Et un accessoire ultra payant : son fusil à canon scié !"
A noter aussi la présence de Simon Abkarian en gangster, un acteur habitué à jouer ce type de personnage comme ses prestations dans Pigalle, la nuit et Les Beaux mecs l'on prouvé (Rebelles lui permet par ailleurs de retrouver Allan Mauduit, l'un des créateurs de la série Kaboul Kitchen, dans laquelle il tenait un rôle central). Allan Mauduit explique au sujet des masculins, notamment ceux de Simon Abkarian et du flic joué par Samuel Jouy :
"Ce sont des hommes coincés, pris en tenaille, dans des positions inconfortables. Ils sont à l’heure des choix. J’aime cette idée parce qu’elle caractérise les hommes d’aujourd’hui. On est à la fois nourri par plusieurs siècles de schémas dominants et questionné sur notre virilité. J’ai beau avoir le sentiment d’assumer depuis longtemps ma part féminine, le quotidien me renvoie parfois à certains réflexes ou attitudes très conditionnés. Le personnage de Simon est littéralement coincé entre ces femmes et ses patrons : il connaît son issue bien avant la fin de l’histoire. Son destin est, à mon sens, heureux. Je disais à Simon Abkarian, que ce dernier moment sur la plage avec Cécile de France, il ne l’échangerait contre rien au monde, quitte à en mourir. Simon incarne la figure du anti-héros des romans noirs... Le personnage de Samuel Jouy lui aussi est double : flic et ripou ; à la recherche des coupables et amant de l’une d’entre elles. À la fois vénal et sentimental, c’est d’ailleurs ce qui le perd."