L'idée du film est venue très simplement à la réalisatrice Carmen Alessandrin ; cette dernière a fait le même voyage que ses personnages à travers l’Europe avec Interrail. "Je venais d’avoir mon bac, j’avais 19 ans et je suis partie avec une dizaine de copains du lycée. Je n’étais pas du tout excitée à l’idée de visiter les pays de l’Est. Ce n’était pas très exotique. J’imaginais du gris, rien à faire, des lieux dont on ne parle pas. Résultat, j’ai découvert un rythme de voyage très particulier et un univers très cinématographique : les paysages, les trains, de nouvelles cultures, de nouvelles langues. J’ai toujours gardé ce voyage dans un coin de ma tête. Je me disais « pourquoi personne ne fait un film sur ce sujet ? C’est stupide. Il y a vraiment quelque chose à raconter."
Carmen Alessandrin est la fille de la réalisatrice et productrice Lisa Azuelos : "Ma mère a joué un rôle très important car c’est la première qui a cru en moi. Quand j’ai fait ce fameux voyage en Interrail et que je lui ai dit « maman, il faut absolument en faire un film ! », c’est elle qui m’a poussée à l’écrire. J’avais 19 ans, je ne savais pas encore ce que je voulais faire de ma vie. Puis c’est elle qui m’a mise en contact avec mon producteur. Ce n’est pas du piston, juste une manière de dire : « j’ai quelqu’un avec un super projet, qui a besoin d’une personne autre que sa mère avec qui échanger ». Elle a cru en ce projet dès le début", confie la cinéaste.
Selon la cinéaste Carmen Alessandrin, Interrail ne s'adresse pas uniquement aux jeunes : "Ce parcours en train existe depuis plus de 40 ans et personne n’en parle. C’est assez intrigant d’avoir un outil aussi fantastique et économique pour voyager et de si peu communiquer dessus. Mon film possède un vrai pouvoir de nostalgie. Bien sûr que nous avons tous envie de faire des oeuvres générationnelles mais je souhaitais avant tout parler d’un moment de vie que l’on traverse tous. Qu’on soit né dans les années 60, 70 ou même 2000, quand on a 18 ans, on est pétri de doutes. C’est universel. Le voyage c’est aussi la découverte de ce que l’on est et de ce que l’on a envie de faire. À 18 ans, c’est important de partir en voyage, de respirer et d’apprendre à se connaître au sein d’un groupe d’amis. C’est un voyage où l’on ne se lave pas beaucoup, avec beaucoup de promiscuité : soudain, enfermés dans 4m2 de couchettes, les caractères des uns et des autres se révèlent."
La réalisatrice Carmen Alessandrin revient sur la part autobiographique de son film : "J’ai vécu les trains qui s’arrêtent au milieu de nulle part, le fait de devoir passer la frontière à pieds, égarer un ami en plein festival, les conversations avec des chauffeurs de trains turcs qui n’en ont rien à faire de toi… Le stop en pleine nuit, je n’aurais pas pu. Je suis trop peureuse. Ce sont deux Françaises qui m’ont raconté cette anecdote. Elles se sont faites prendre en stop par un homme qui ne parlait pas leur langue. Il les a amenées chez lui, leur a donné à manger, les a fait dormir et le lendemain, leur a fait visiter la capitale. Quand on est en groupe, je crois qu’il faut se dire que l’inconnu n’est pas forcément dangereux.
Le voyage était déjà très présent dans votre travail photo… En fait le voyage ne fait pas partie de mon travail : il fait partie de moi. J’ai commencé à m’intéresser au cinéma en faisant de la photo. Je me suis acheté un appareil quand j’étais en terminale et après mon bac, j’ai voulu partir découvrir le monde. J’ai exploré l’Inde pendant un mois et j’ai commencé à prendre quelques clichés. À mon retour, je suis partie en stage à New York avec un photographe pendant un mois. J’étais très seule donc je faisais beaucoup de photos. Je suis toujours en quête de découvrir de nouvelles cultures et de nouveaux paysages."
Le travail de repérage était très intense, d'après Carmen Alessandrin : "Le voyage en lui-même coûte cher en terme de production. Donc, qui dit « pas d’argent », dit « réduction de temps » et qui dit « réduction de temps » dit qu’on devient fou. Nous avons fait les repérages en 15 jours : 6 pays, et quasiment une dizaine de décors par jour. C’est énorme. Je pense que j’ai perdu 5 kg pendant ces deux semaines. Mais j’ai réussi à m’entourer de gens qui étaient animés par le même désir et la même envie de faire au mieux. Se démener et prouver que ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on ne peut pas le faire. Nous étions nombreux à vivre notre « première fois » avec ce film. C’est grâce à cette énergie qu’on a réussi à le réaliser jusqu’au bout. C’était fantastique."
Le casting s’est fait sur une année avec deux directeurs aux approches très différentes. "Avec le premier, nous avons vu beaucoup de gens en mode « parle-moi de toi ». C’était un mélange de castings sauvages et d’écrémage en agences. Après la pause de l’été qui m’a permis de prendre du recul, j’ai recommencé avec un autre directeur de casting, coach de comédiens. Nous faisions des séances de travail parce qu’il était indispensable de voir la malléabilité de la personne. J’ai testé mes préférés en groupe parce que c’était très important pour moi de voir s’il y avait cohésion ou non. Mon choix final s’est fait une fois toutes les combinaisons testées !", confie Carmen Alessandrin.
Carmen Alessandrin évoque l'ambiance sur le tournage difficile d'Interrail : "Nous avons commencé à tourner la dernière scène du film en Croatie car le festival de musique avait lieu à ce moment-là. Nous étions sur une plage, avec un grand soleil. C’était fantastique mais j’étais très stressée, avec ma mère à mes côtés (la réalisatrice Lisa Azuelos). Elle était tiraillée entre son rôle de productrice et celui de maman. Puis la réalité du tournage m’a rattrapée : le vent, la tempête, l’eau glaciale alors que les comédiens devaient aller dans l’eau…Mais dès que l’assistant mise en scène et le chef opérateur sont venus me dire « alors on fait quoi ? », plus le droit de stresser. J’ai foncé. Nous utilisions les mêmes trains pour tourner et pour voyager. Notre rythme était très perturbé. Parfois, nous tournions pendant 4 jours puis plus rien pendant deux jours. Nous étions sans cesse dépendants des évènements extérieurs. C’est très contraignant. Mais le dénominateur commun de cette équipe, c’est la passion de ce métier et la diversité qu’il apporte. Voyager et tourner dans des trains, cela n’arrive pas tous les jours. Tout le monde éprouvait du plaisir même quand c’était compliqué."
Pour Carmen Alessandrin, l’illustration de l’esprit de ce film, c’est la relation qu'elle a eue avec son chef opérateur sur une scène tournée sur le trajet Paris-Berlin. "C’est la scène du wagon bar. On se prépare sur le quai, on a nos caisses de matériel, on est une vingtaine. Le train arrive, c’est une connexion donc on monte vite. C’est un peu la cohue, on rentre tous dans le train, les portes se ferment et là, je réalise que le train est surbooké, que tous les voyageurs sont debout et qu’avec nos trentaines de caisses, on ne peut pas bouger. J’ai 5 heures de train pour tourner une scène primordiale. Je me dis que c’est impossible. Je mets 20 minutes à traverser quatre wagons pour arriver sur le décor et là, je vois mon chef-opérateur debout sur les sièges en train d’installer les projecteurs. Il me dit : « c’est bon je suis prêt à tourner ». Une demi-heure plus tard les comédiens sont arrivés et on a fait la scène. Chaque membre de cette équipe était animé par cette volonté de ne jamais se laisser abattre et de toujours trouver des solutions. Car nous n’avions pas le choix. C’était très fort."
Carmen Alessandrin revient sur le travail sur la musique dans Interrail : "L’un de mes amis du lycée, avec qui j’ai fait mon premier voyage Interrail, est parti faire ses études à Madrid. Là-bas, il m’a présenté l’une des filles du groupe Hinds. Quand on m’a parlé de collaboration musicale pour le film, j’ai tout de suite pensé à elle et son groupe. J’ai senti leur fulgurance et leur énergie, ce truc « rock de garage des années 80 ». Il y a quelque chose de très « teenage » dans leur musique que j’aimais beaucoup. J’étais heureuse de pouvoir collaborer avec elle parce que c’est une rencontre de la vie."