La genèse d'Alice et le maire résulte de la volonté qu'avait Nicolas Pariser de travailler avec Fabrice Luchini et de la convergence de deux de ses projets. Il y a quelques années, il avait vu le documentaire Le Président de Yves Jeuland, qui lui avait donné envie de faire un film sur un président de région haut en couleur qui emmènerait un jeune assistant intello partout avec lui. Le cinéaste planchait, en parallèle, sur un autre scénario qui racontait l’histoire d’une jeune femme qui ne savait pas quoi faire dans la vie et qui essayait divers métiers. Il se rappelle :
"Elle avait fait Sciences-Po, voulait s’engager en politique, faisait du théâtre, s’essayait au jeûne : elle se cherchait faute d’avoir une vocation. J’ai mélangé ces deux projets mais j’avais l’impression qu’il manquait encore quelque chose. C’est là que j’ai pensé à L’homme sans qualités de Robert Musil. L’un des premiers films amateurs que j’ai réalisé quand j’étais étudiant en était une adaptation lointaine. C’est vraiment un livre fondateur pour moi, le livre de mes 25 ans. Musil m’a servi de liant entre ces deux projets."
En 2015 sortait Le Grand jeu, thriller politique réaliste signé Nicolas Pariser. Quatre ans après, le metteur en scène revient avec Alice et le maire, son second long métrage qui traite aussi de politique mais via l'angle de la comédie dramatique.
Nicolas Pariser a eu plusieurs influences pour Alice et le maire. Parmi elles, les films d'Eric Rohmer et ceux de (et avec) Sacha Guitry avec Fabrice Luchini. "Comme le maire, les héros qu’incarne Guitry parlent beaucoup et jouent la comédie. Ils sont tout le temps en représentation mais, à un moment, leur intimité apparaît, comme par effraction, et c’est bouleversant. Dans ma description de la vie de la mairie, j’ai beaucoup pensé à la série « A la maison Blanche » d’Aaron Sorkin, j’aimais tous ces personnages qui parlent politique en marchant et qui travaillent tout le temps", précise le metteur en scène.
Le tournage de "Alice et le maire" s'est déroulé du 20 août au 5 octobre 2018, à Lyon.
Comme dans Le Grand Jeu, Nicolas Pariser filme une opposition entre le vieux monde et le nouveau : d’un côté la littérature, les livres, la théorie politique, de l’autre les technocrates, les communicants, la novlangue... "D’un côté la pensée et de l’autre le monde de l’action.Comme dans « Le Grand Jeu » je me demande : pourquoi ceux qui agissent ne pensent pas et pourquoi ceux qui pensent n’agissent pas ? Dans mon expérience personnelle, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui agissait et qui s’est mis à penser. En revanche, j’ai rencontré beaucoup de gens qui pensaient et qui, du moment où ils ont commencé à agir, ont cessé de penser", raconte le cinéaste.
Nicolas Pariser a choisi de tourner Alice et le maire en 35mm parce qu'il n’aime pas le numérique. Il explique : "Il y a évidemment des films tournés avec une caméra numérique qui sont superbes mais ce sont des films qui, pour des raisons diverses, ne sont pensables qu’en numérique. Je dirais en vrac « Neon Demon » de Nicolas Winding Refn, « Miami Vice » de Michael Mann, les films d’Abdellatif Kechiche ou encore la dernière saison de « Twin Peaks » de David Lynch. Malheureusement, aujourd’hui en France le numérique est le plus souvent une simple économie dans le devis du film, on ne réfléchit pas assez à ce que cela implique.En fait, ce qui me dérange c’est de filmer en numérique et de faire comme si c’était du 35 parce que c’est forcément moins bien pour les peaux, les couleurs, la texture de l’image..."
Si la mise en scène d'Alice et le maire est très classique, il y a toutefois un long plan séquence où Alice et le maire écrivent ensemble un discours et ne sont jamais interrompus (contrairement au reste du film). Nicolas Pariser développe à ce sujet : "Ils ont enfin un moment à eux. Les personnages et la mise en scène se posent.Il n’y a pas beaucoup le temps de penser dans une mairie, Alice et le maire sont tout le temps interrompus, leurs échanges sont presque toujours des moments volés. Au début du récit je les filme principalement en champ contrechamp parce que chacun est dans son coin, il y a une forme de confrontation. Et au fur et à mesure que le film avance, ils sont de plus en plus souvent dans le même plan et à la fin ils ont un plan-séquence pour eux. Ils écrivent un texte ensemble, ce qui se rapprochent un peu d’une communion d’âmes selon moi. Pour la première fois, le temps du plan coïncide exactement avec le temps de leur pensée."
Lors du tournage durant l'été 2018, Nicolas Pariser avait loué les salons de l'Hôtel de Ville de Lyon dans le but d'y réaliser des scènes, mais s'y est ensuite fait refuser l'accès avec son équipe. Le réalisateur a même été la cible de plusieurs moyens de pression pour tourner Alice et le maire dans une autre ville. La raison ? Le maire de Lyon, Gérard Collomb, craignait d'être représenté de manière peu reluisante (et ce quelques mois avant les élections). Or, Nicolas Pariser et Fabrice Luchini n'ont jamais voulu s'inspirer de lui (le réalisateur a d'ailleurs choisi la ville de Lyon pour ne pas tourner à Paris, qui est une ville dans laquelle le maire n'a pas assez de pouvoir). Gérard Collomb, qui a depuis été réélu, a d'ailleurs trouvé le film assez drôle.