Rafiki est adapté de la nouvelle Jambula tree de Monica Arac de Nyeko. C'est le producteur Steven Markovitz qui est à l'initiative du projet en 2011, lui qui souhaite alors porter à l'écran de la littérature africaine contemporaine.
La réalisatrice Wanuri Kahiu a signé une première version du scénario puis a été rejointe par Jenna Bass. Ensemble, elles ont transposé l'action, initialement située en Ouganda, à Nairobi, capitale du Kenya.
Après avoir voulu conserver le titre original de la nouvelle, Jambula Tree, la réalisatrice a finalement intitulé son film "Rafiki", qui signifie en swahili au Kenya "ami", pour désigner une personne avec laquelle on est dans une relation dont on ne veut pas définir la nature.
Pour la réalisatrice, il était important de montrer la modernité et le dynamisme de Nairobi, où la vie culturelle se développe de plus en plus pour et par la jeune génération : "Nous voulions représenter, notamment les clubs, ces lieux où les jeunes Africains vont s’amuser comme le font les jeunes du monde entier. Aujourd’hui, les artistes kenyans collaborent sur le plan créatif dans des tas de disciplines, de la musique au cinéma en passant par les arts graphiques, et nous tenions à ce que certaines de ces personnes soient présentes dans le film, par exemple dans la bande-son avec quelqu’un comme Muthoni Drummer Queen, ou le générique de début qui a été conçu par une très jeune artiste, Jebet Nava".
La réalisatrice appartient à un collectif d'artistes appelé Afrobubblegum dont l'ambition est de créer des images "fun, féroces, et frivoles" : "C’est né de l’envie de lutter contre l’idée que la création africaine est forcément sérieuse. Certains pensent que les gens ont un accès limité à l’art et que par conséquent il faudrait que les oeuvres aient une dimension nationaliste ou fassent passer un message. Or, nous sommes convaincus que l’imagination n’est pas un luxe mais une nécessité, c’est la façon dont nous vivons le monde, c’est comme ça qu’on crée une culture et une identité".
Au-delà d'un portrait de la jeunesse kenyane, Rafiki évoque également la condition des femmes dans le pays, "où le poids du patriarcat est encore très fort, [...]. On y a une vision très limitée de ce qu’une femme est capable de faire. Rafiki témoigne de la nécessité de déterminer qui on veut être par rapport à ce modèle, du désir d’aller au bout de ses rêves et de ses passions, tout en continuant à être accepté par la société dans laquelle on vit".
Il a fallu un mois et demi pour trouver les interprètes de Kena et Ziki. Si Sheila Munyiva s’est présentée à une audition, Samantha Mugatsia, elle, a rencontré la réalisatrice lors d’une fête chez des amis. À l'origine musicienne, elle n'avait jamais joué la comédie.
"Quand nous leur avons proposé les rôles, elles ont pris le temps de réfléchir. Nous leur avons demandé d’en parler à leur famille et à leur entourage. Nous voulions être sûrs qu’elles avaient pris leur décision en toute connaissance de cause, de manière responsable. Puis nous avons commencé à travailler sur leur garde-robe, leur coiffure, en examinant ensemble de nouvelles pistes. Ce travail de création s’est fait avec elles. Je ne leur ai pas demandé de lire Jambula tree, mais elles se sont quand même documentées d’elles-mêmes. Je sais qu’elles ont lu par exemple Stories of ourselves, un livre collectif composé de récits sur l’homosexualité au Kenya", explique la réalisatrice.
La réalisatrice revient sur la situation des personnes LGBTI au Kenya : "Réaliser un film sur deux jeunes femmes qui s’aiment pose plus largement la question des droits humains en Afrique de l’Est. Au cours des cinq années passées à développer ce film, nous avons assisté à une évolution inquiétante du climat anti-LGBTI en Afrique de l’Est. Certains films de la région ainsi que des émissions de télévision internationales ont été interdits pour des raisons de contenu LGBTI. Ce climat a étouffé les discussions sur les droits LGBTI et a réduit la liberté d’expression. Mais, les choses changent peu à peu, et vont dans le sens du progrès. [...] L’homophobie reste répandue au Kenya, mais je crois que tout le monde n’est pas d’accord avec les peines auxquelles sont condamnées les personnes LGBTI, et se développe aussi l’idée que la question de l’orientation sexuelle ne regarde que soi".
En raison de son sujet, Rafiki a été difficile à monter : il a fallu sept ans pour réunir l'argent nécessaire pour le tourner. La réalisatrice confie : "Nous avons demandé des fonds auprès de différents guichets, pour la plupart européens. Nous avons essuyé beaucoup de refus, parfois les gens nous répondaient qu’ils ne voulaient pas s’impliquer dans une telle histoire parce qu’ils ne voulaient pas offenser les gouvernements africains. Mais rien de tout cela ne nous a arrêtés, nous n’avons jamais baissé les bras. Quand le tournage a commencé, nous savions que nous avions demandé toutes les autorisations nécessaires donc que nous ne pourrions pas rencontrer de problème. Les précautions que nous avons prises visaient surtout à faire en sorte que les actrices se sentent en sécurité et en confiance".
Bien que présenté au Festival de Cannes 2018 dans le cadre de la section Un Certain Regard, Rafiki a été banni par la commission de classification des films au Kenya. Il ne peut donc pas y être distribué et diffusé. Wanuri Kahiu explique : "On m’avait demandé de modifier la fin du film car ils souhaitaient que ça se termine sur une note de repentance, mais pour moi ça n’aurait pas été conforme avec l’idée d’espoir et de joie à laquelle je tenais, notamment vis-à-vis des spectateurs du monde entier".