Sofia est un portrait du Maroc d'aujourd’hui. La réalisatrice confie : "Je ne voulais pas faire un film qui parle seulement de la condition de la femme. Celle-ci est toujours montrée comme la victime d’une société patriarcale, or je ne crois pas que l’on puisse parler de la condition féminine sans parler de la société elle-même. La place des femmes se définit en fonction d’un contexte socio-économique : c’est ce que raconte Sofia".
À l'origine de Sofia, il y a une histoire vraie qu'a vécue la mère de la réalisatrice Meryem Benm’Barek : "Lorsque j’étais adolescente, ma mère m’avait raconté l’histoire troublante d’une jeune fille qui avait été recueillie par mes grands-parents. Elle avait 17 ans, et ma mère, à cette époque à peine plus âgée qu’elle, avait découvert un soir, tout à fait par hasard, qu’elle était enceinte et qu’elle était sur le point d’accoucher. Un mariage a donc dû être organisé dans les plus brefs délais".
Sofia met en scène le déni de grossesse d'une jeune marocaine contrainte d'accoucher sans être mariée. Une histoire assez commune au Maroc où les relations sexuelles hors mariage sont interdites par la loi. La réalisatrice témoigne : "C’est une situation forcément compliquée car la mère comme le père sont susceptibles d’être poursuivis par la justice et d’écoper d’une peine de prison. Du coup, le mariage est la seule issue possible. Mon histoire est née tout naturellement en me demandant comment un drame comme celui-ci pouvait être le révélateur du fonctionnement d’une société dans tous ses aspects".
Sofia et sa cousine Lena incarnent deux visages de la société marocaine, à la fois traditionnelle et tournée vers l’Occident. Elles ont grandi dans des milieux différents et leurs angoisses sont révélatrices du fonctionnement de la société marocaine. La réalisatrice développe : "Lena et Sofia n’ont pas le même point de vue sur cette histoire. Sofia est finalement plus consciente que Lena des enjeux sociaux et économiques liés à sa grossesse et à son mariage. Lena voit Sofia comme une victime alors que Sofia refuse d’être cette victime".
Dans Sofia, il y a un personnage dont on parle souvent, qui plane telle une ombre sur la famille et que l'on ne voit pourtant jamais, il s'agit de Jean-Luc, le père de Lena et l'oncle de Sofia. Son absence est un choix assumé de la réalisatrice : "Il est hors-champ tout le long du film et sa présence et son influence n’en sont que plus fortes. Jean-Luc est comme une force toute puissante pour la famille de Sofia car il est la clé de leur progression sociale à tous. Ce personnage - et l’importance que les autres lui donnent - raconte énormément de la société marocaine et de la place encore dévolue à l’homme français souvent perçu comme celui qui a l’argent et donc le pouvoir".
Pour son premier long-métrage, Meryem Benm’Barek souhaitait une grande sobriété dans la mise en scène, à l'instar du cinéma d’Asghar Farhadi, Nuri Bilge Ceylan ou encore Cristian Mungiu qu'elle admire pour leur capacité à jouer sur le hors-champ sans jamais être ostentatoire : "Sofia démarre comme un thriller social avant de basculer vers l’étude sociologique. L’enjeu est moins de savoir qui est le père de l’enfant que de montrer la pression qu’impose une société qui ne conçoit pas une naissance sans mari. Du coup, le drame familial prend le pas et les jeux de pouvoir se font jour entre les personnages".
Sofia se déroule à Casablanca qui est la ville que la réalisatrice connaît le mieux au Maroc : "c’est la capitale économique du pays où la fracture sociale est d’autant plus visible. Tout le monde converge à Casablanca pour trouver du travail et essayer de progresser dans l’échelle sociale. Les différents quartiers qui composent la ville sont un parfait résumé de la société marocaine. J’ai filmé ceux qui étaient à mes yeux les plus adaptés à mon sujet : Derb Sultan où habite la famille d’Omar est un des quartiers les plus anciens et les plus populaires, le centre-ville où réside la famille de Sofia est dominé par une architecture coloniale qui raconte l’histoire du pays, Anfa où vivent Lena et ses parents est l’endroit qui concentre les villas et les grandes propriétés".
Pour incarner Sofia, la réalisatrice a jeté son dévolu sur Maha Alemi qu'elle connaissait avant le tournage et pour laquelle elle a écrit le rôle. Même si la jeune femme n'est pas comédienne à l'origine, "elle avait cette assurance et ce mystère nécessaires au personnage". Pour le rôle de Lena, le casting fut compliqué : plus de 250 actrices ont été auditionnées en vain. "Je cherchais une fille pétillante à la beauté sage. Il fallait qu’elle sache parler le français aussi bien que l’arabe. Son physique et sa posture devaient aussi incarner cette idée de la bourgeoisie marocaine. J’ai trouvé Sarah Perles trois semaines seulement avant le début du tournage".