Alors qu'il a une femme, un enfant et un poste respectable de président directeur-général, un jeune cadre voit son existence chamboulée, lorsque s'immisce dans sa vie une ancienne camarade de lycée, libre, révoltée et attirante.
A partir de ce pitch simple et somme toute classique, Éric Rohmer a tiré un long-métrage puissant et limpide, d'une imparable fluidité et force.
En fait, tant par des dialogues soigneusement ciselés ("Maintenant quand je vois une femme je n'arrive plus aussi nettement qu'autrefois à la classer dans le clan des élus ou dans celui des réprouvés.", "En étreignant Hélène j'étreins toutes les femmes. Mais d'autre part je sens que ma vie passe et que d'autres vies se déroulent parallèlement à la mienne et je suis comme frustré d'être resté étranger à ces vies, de ne pas avoir retenu chacune de ces femmes, ne serait-ce qu'un instant, dans leur marche précipitée vers je ne sais quel travail, vers je ne sais quel plaisir..."...) que par une image aussi belle qu'épurée ou des comédiens inspirés (le regard bleu de Bernard Verley vous hantera longtemps), le film s'impose à nos yeux avec évidence, malgré le sujet éculé qu'il traite (triangle amoureux, figure de la Femme Fatale, adultère...).
Pendant tout le film, l'usage de la voix-off est certes abondant. Néanmoins celle-ci n'envahit jamais le récit de façon maladroite. Bien au contraire, elle est un vecteur à part entière du plaisir cinématographique éprouvé devant L'amour l'après-midi (les deux "amants" se rencontrant chaque fois l'après-midi). Elle contribue au charme vénéneux du film, et crée une ambivalence intéressante: elle remplit une fonction explicative tout en nous laissant percevoir tout ce que nous savons pas. Elle ne comble jamais complètement notre attente, laisse percer le mystère.
Après s'être longuement battu avec sa conscience, le personnage principal se laisse faire, se laisse prendre dans cette toile d'araignée tissée avec malice. Il se rend chez la sulfureuse Zouzou, regarde bouche bée comme elle se déshabille, s'accroche à ce dos, à cette taille, à ces jambes, comme ivre, comme ensorcelé... Puis il se rend à la salle de bain pour se déshabiller de son pull. Mais, lorsqu'il est sur le point d'enlever ce vêtement et qu'il se voit, le miroir de la salle de bain lui renvoyant son portrait, il se rappelle d'une scène de famille, où il avait joué avec ce même pull pour amuser son fils, et s'était retrouvé exactement dans la même position. Par ce souvenir, il retrouve le courage suffisant pour quitter l'appartement de celle qui allait tout détruire. Dans un ultime plan-séquence fixe, Rohmer, secondé de l'impérial Almendros, filment les retrouvailles de ce couple, où larmes, rires, chuchotements, plaintes, gémissements et exclamations se côtoient confusément.
Réflexion sur l'adultère, la polygamie et l'amour; renouvellement original d'un sujet éculé; drame poignant d'une intensité rare; L'Amour l'Après-Midi prouve avec maestria que c'est dans les plus vieilles marmites qu'on fait les meilleures soupes.