Petit thriller franco-belge d’à peine plus de 90 minutes, le film de Samuel Tilman est sorti en salle dans une relative indifférence. Et c’est dommage car, même s’il n’est pas d’une originalité folle dans la forme comme sur le fond, il ne manque ni de qualités, ni d’intérêt. Grace à une construction maline et un montage astucieux, qui parsème le film de pastilles « flashs back » sur ces fameuses 50 minutes, le film distille tout au long de son propos la quantité parfaite de malaise qui convient. Le jogging de 50 minutes est évacué au début du film en quelques minutes, des minutes anodines qui ne montrent rien. C’est tout au long du long métrage et jusqu’à sa toute fin, que les détails de ces 50 minutes sont dévoilés, par petites touches. Le décor brumeux et angoissant des Vosges, l’utilisation intelligente de la lumière, du contre champs (pendant les interrogatoires de police, surtout), du son même par moment, permet d’installer durablement une ambiance un peu délétère. Cette ambiance amène le spectateur à douter de tout, et maintient le suspens sur l’innocence (ou pas) de ce père de famille parfait et de la fameuse « part d’ombre » qui se cache en lui. La musique n’est pas envahissante, le film est très resserré, les scènes en apparence banales sont rares et toujours courtes. Jamais trop bavard ou trop elliptique, le film se laisse suivre avec un véritable intérêt et c’est la marque des films noirs crédibles et bien troussés. Le réalisateur Samuel Tilman nous offre un thriller du quotidien, sans esbroufe, sans effets de manche mais qui peut parler à tous puisque tous, nous pouvons un jour nous trouver au mauvais endroit au mauvais moment. C’est Fabrizio Rongione qui porte ce thriller sur ses épaules, un comédien un peu trop sous-employé à mon gout, qui a fait ses armes dans « Un Village Français » notamment. Il est parfaitement juste en homme combatif mais secret, toujours à donner l’impression d’un homme certes innocent mais qui n’a pas tout dit, pas tout avoué. Au fil des scènes, on le croit, puis moins, puis on le croit de nouveau. Les révélations qui s’enchainent sur sa « part d’ombre » vont vaciller nos certitudes mais au bout du compte, il campe un homme attachant dont on espère l’innocence jusqu’au bout, sans toutefois en avoir jamais la certitude absolue. Si à ses côtés Natacha Reigner est très bien aussi, les seconds rôles sont moins bien écrits, incarnés parfois avec un peu moins de conviction, sans doute un peu trop nombreux aussi. Le scénario, finalement, montre l’enquête de police comme un engrenage qui broie, cran après cran, toute la vie de David. Chaque cran apporte un petit supplément, la confiance entre mari et femme : un cran, l’amitié : un cran, la confiance de ses collègues : un cran. C’est lent, mais c’est imparable, tout se délite et rien ne semble pouvoir arrêter l’engrenage.
Il faut dire que David se défend mal (comme souvent les innocents dans les thrillers !), cache des choses, ment, n’écoute pas son avocat, se laisse dominer par la colère et devient paranoïaque. De l’autre côté, son entourage passe de confiant à inquiet, d’inquiet à suspicieux et de suspicieux à hostile.
La fameuse « part d’ombre » de David, qui en tant que telle n’est pas si terrible que cela, fait trembler sur ses bases toutes ses relations, conjugales, sociales, amicales, et les dégâts sont au final immenses, et probablement définitifs. Rien de tel qu’une enquête de police pour faire le tri dans tes amis, on dirait ! Ceux qui te restent fidèles paraissent indéfectibles mais sont peut-être en réalité aveuglés ou manipulés, ceux qui te tournent le dos passent pour des enflures mais ce sont peut-être eux qui sont lucides ? Comme le couple de David, les couples d’amis ne sortirons pas indemnes de cette histoire, car il n’y a pas que les « parts d’ombre » de David qui se retrouvent en pleine lumière ! Ce malaise qui s’insinue dans le groupe d’ami comme l’eau dans une fissure est parfaitement montré, par petites touches : ici un regard gêné, là une invitation qui se décline bizarrement, là encore un silence qui en dit long. Le suspens réside bien entendu dans la culpabilité ou non de David
(la fin lève le voile, et c’est une fin qui laisse un gout assez amer)
mais aussi dans sa capacité à garder sa femme, ses amis, son travail. On pourrait parler de justice ou d’injustice, mais la réalité de l’histoire de David est plus nuancée que cela.
Il est à la foi victime et coupable de ce qui lui arrive, ni blanc, ni noir, bien au contraire !
C’est vrai que « Une part d’ombre » ne restera pas dans les annales du genre, la faute à une réalisation sobre qui peut paraître austère par moment, à une construction fragmentée efficace mais loin d’être inédite, à un casting un peu déséquilibré, et à l’absence de scènes très fortes, percutantes, de celles qui marquent durablement les esprits. Mais malgré tout, il y a dans ce long métrage une vraie crédibilité, une ambiance malsaine juste comme il faut et aussi une finesse psychologique qui méritent le déplacement.