Avec J'ai perdu Albert, Didier Van Cauwelaert a voulu inventer une nouvelle forme de ménage à trois. Il lui est alors venue l’idée d’une femme médium réputée si infaillible que l’industrie, la politique, les people et l’armée se l’arrachent, jusqu’au jour où elle perd brutalement sa "source d’information" qui a migré chez quelqu’un d’autre. Ce qui intéressait avant tout le réalisateur dans ce pitch était la dépossession, cette forme de perturbation qui est chez lui est un thème récurrent. Il confie :
"Comment y faire face ? Qu’est-ce qu’elle induit dans le comportement de ceux qui doivent l’affronter ? Qu’est-ce qu’elle révèle de leur véritable nature ? Dans J'ai perdu Albert, je fais, si j’ose dire, coup double, puisque la même situation met face à face deux personnes déstabilisées pour des raisons diamétralement opposées. D’un côté, une femme complexe, Chloé, dépossédée de ses pouvoirs extra-lucides mais qui, face à tous les décideurs qui ne prennent aucune décision sans la consulter, va devoir feindre et improviser. De l’autre côté, un homme simple, Zac, un garçon de café dépossédé de son libre arbitre, qui ne comprend pas ce qui lui arrive et qui s’en trouve paniqué – d’autant que la «voix intérieure» qui se met à le bombarder d’infos sur l’avenir des gens et ce qu’on attend de lui n’est autre qu’Albert Einstein…"
J'ai perdu Albert est l’adaptation du roman du même nom que Didier Van Cauwelaert a publié en avril 2018. Le metteur en scène précise que le support papier et le scénario ont "poussé" en même temps, puisque cette histoire lui a été demandée d'être écrite en langage cinématographique à mesure qu'il travaillait le style littéraire.
"Les personnages m’ont réclamé très vite leur incarnation. Ça ne m’était jamais arrivé avec autant d’insistance. Et puis ce double projet, que je voulais concomitant, a mis près de dix ans à voir le jour. Ma productrice, Virginie Visconti, s’était emballée immédiatement sur le scénario. Ses partenaires financiers aussi, mais ils craignaient que le personnage d’Einstein ne «plombe» la comédie. On le trouvait trop intellectuel, trop "has been"… Il a fallu la détection des ondes gravitationnelles pour qu’Einstein redevienne le savant le plus connu du monde – une «rock-star» qui fascine même les enfants. Dès lors, le film s’est monté à la vitesse de la lumière. Pendant ces années où bataillait ma productrice, j’ai publié des livres très importants pour moi, qui m’ont autant préparé au tournage que les événements «étranges» que j’ai vécus en parallèle. L’attente, parfois, est une alliée. À condition de ne renoncer qu’à une seule chose : les concessions qui dénaturent", indique Didier Van Cauwelaert.
Dans le roman, l’intrigue est racontée de trois points de vue différents, celui de Chloé, de Zac et d’Einstein. Dans le film, il n’y a aucun discours intérieur, aucune voix off. Tel était le challenge de Didier Van Cauwelaert : donner à voir l’invisible, faire ressentir le pouvoir de la médiumnité par la seule force de l’image. Le cinéaste explique : "À aucun moment on entend parler Einstein dans la tête de ses «porte-paroles». C’est le jeu des acteurs, leurs réactions et leurs réponses à la «voix intérieure» qui font comprendre au spectateur ce qu’ils entendent. Le point commun entre le roman et le film, c’est le rythme. Même s’il procède de moyens différents. J’écris mes livres à voix haute. Pour vérifier que ça «balance» bien, que la bascule rire/émotion fonctionne au moment adéquat. Le bon tempo d’un film (le tempo juste) est plus difficile à trouver, parce que les paramètres sont nombreux. La valeur du plan, la longueur de la scène, le phrasé des acteurs, le décor, le montage, le mixage… Tout joue.
Didier Van Cauwelaert a choisi Stéphane Plaza dans le rôle de Zac. Le metteur en scène ne le connaissait pas personnellement mais l'avait vu au théâtre dans "Le Fusible". Il se rappelle : "Pourquoi avez vous choisi Stéphane Plaza dans le rôle de Zac ? Je ne le connaissais pas personnellement. Je l’avais simplement vu au théâtre dans «Le Fusible». Il m’avait impressionné par sa sincérité et son efficacité. Je me dis : «Il faut que je trouve ses coordonnées». Le lendemain, pour mon roman Le Retour de Jules, je suis invité sur RTL aux Grosses Têtes. Stéphane Plaza était là, remplaçant un chroniqueur au pied levé. Tous les hasards ne sont pas des signes, mais quand même… Il a accepté le scénario immédiatement."
La musique de J'ai perdu Albert est signée Michel Legrand, avec qui Didier Van Cauwelaert travaille depuis trente ans. Ils ont écrit ensemble des spectacles musicaux qui ont fait le tour du monde ("Le Passe-muraille", "Dreyfus", etc.) et s’apprêtent à créer, l’an prochain, "L’Amour fantôme". "Michel est dans une forme de composition éblouissante. Les musiques qu’il a écrites pour ce film sont formidables. Elles traduisent les états intérieurs des personnages avec une justesse implacable. Je pense, entre autres, à celle de Zac sur son scooter, à la fois poignante, désespérée, tonique et jubilatoire. Michel sait tout exprimer avec ses notes. Et c’est un tel concentré d’énergie vitale… Tous ceux qui ont vu le film en sortent avec la pétillance joyeuse de la chanson finale, interprétée par Natalie Dessay et Laurent Naouri", raconte le réalisateur.
Avec J'ai perdu Albert, Stéphane Plaza trouve son premier rôle au cinéma. L'animateur de télévision et de radio n'est pourtant pas complètement novice en la matière. Il explique : "D’abord, dans ma jeunesse, j’ai fréquenté pendant sept ans les Conservatoires d’art dramatique de Levallois-Perret, puis de Neuilly. Et aujourd’hui, j’ai à mon actif trois téléfilms et deux pièces de théâtre, dont « Le Fusible», que j’ai joué presque non stop pendant deux ans. Des propositions de rôles au cinéma, j’en avais donc forcément déjà reçues. Ceci pour dire que, lorsque celle de Didier m’est arrivée, je n’ai pas été tellement surpris. En revanche j’ai été intrigué par ce qu’allait donner la rencontre entre l’univers de Didier et le mien, qui sont, à priori aux antipodes l’un de l’autre. Je me suis beaucoup interrogé sur le fonctionnement de notre « attelage», et sur ce que les gens allaient en penser ! C’était assez excitant !"
Jusqu’à présent, Didier Van Cauwelaert a essentiellement confié la réalisation de ses scénarios à des cinéastes autres que lui. Il a toutefois voulu réaliser J'ai perdu Albert, signant pour l'occasion son retour à la mise en scène pas loin de 25 ans après Les Amies de ma femme, son premier long métrage. Il indique : "Un film comme Sans identité avec Liam Neeson, l’adaptation de mon roman Hors de moi, nécessitait par exemple un réalisateur aussi brillant dans l’action que dans la psychologie, pour un tournage aux normes américaines avec Liam Neeson et Diane Kruger. Je ne m’en savais pas capable, et j’aime admirer le travail des autres. En revanche, je pense que j’étais le mieux à même de diriger J'ai perdu Albert. La médiumnité est un sujet trop souvent caricaturé par des gens qui n’y connaissent rien. Pour la mettre en images avec toute la rigueur qu’elle requiert, il faut être au fait de son fonctionnement comme de ses dysfonctionnements, et savoir les faire ressentir aux acteurs comme si c’était leur lot quotidien. a comédie vient du naturel et du décalage avec lesquels les personnages traitent cette information parasite. À partir d’un tel postulat surnaturel développé avec logique, les deux comédies totalement réussies à mes yeux sont Ghost et Didier."