Après "Viridiana", voici donc "Le journal d'une femme de chambre". Date de sortie française : 1964.
Plus accessible que le précédent de par une trame plus filiforme, ce Bunuel a du mal à se caractériser. Alors oui, Luis fait du Bunuel. Voici donc deux points que je vais aborder.
D'abord, Luis met en scène cette femme de chambre (Jeanne Moreau), l'illumine par endroit, l'assombrit dans d'autres moments et met en forme, avec ses plans à la fois larges et serrés, une peinture qu'on croirait sortie directement d'un musée de la Renaissance. Le tout, aidé par un N&B bien sûr très bien calqué. Ce que j'ai préféré dans cette peinture, c'est l'ensemble qui n'est ni noir, ni blanc, mais bel et bien gris, tous comme la société dépeinte qui est mon deuxième argument.
Cette société, grisée par la mise en scène de Bunuel, est ancrée dans une Province française des années d'avant guerre (1920-1930). Octave Mirbeau qui est à l'origine l'auteur du roman, sorti en 1900, situe son histoire au dix-neuvième siècle. Bunuel nous fait vivre ici dans le charme discret d'une bourgeoisie décrépie à souhait, vue au travers d'une personne venant de la capitale, la fameuse femme de chambre (sublime Jeanne Moreau, actrice déjà chevronnée : "Touchez pas au grisbi" (avec Lino), "Les amants" (de Louis Malle), "Jules et Jim" (de Truffaut)...) qui se range d'un bout à l'autre du film à côté de chaque personnage, brillamment écrits par Bunuel et Jean-Claude Carrière (scénariste lui-aussi. Il collaborera avec Luis pour "Cet obscur..." et sera reconnu ensuite par la profession : "Le tambour" (de Volker S.), "Valmont", "Cyrano de Bergerac"...) et qui en profite pour prendre un rôle dans le film, celui d'un curé. La noirceur et la misogynie sont aussi bien présents, n'en déplaise à Luis qui n'y va pas de main morte. Dans les tourments de ses personnages, il prend un malin plaisir à saisir un regard, un faciès, un dialogue, et ce, les mains dans les poches. Certes non provocateur, Bunuel pioche dans son univers perfide pour nous asséner ses tourments psychologiques (excuse-moi Luis !!) et psychorigides. Luis n'oublie pas non plus son fétichisme avec l'inénarrable Jean Ozenne (Verneuil l'avait engagé pour "Les amants du Tage") et ses fameuses bottes. Bunuel n'en démord pas et fait de ce deuxième point (cette société grisée, minée) l'essence même du "Journal d'une femme de chambre".
Je tiens à parler du casting en dernier. Il y a donc Jeanne Moreau, Jean-Claude Carrière, Jean Ozenne. Luis Bunuel fait en sorte que l'interprétation soit bien générale. Tout comme dans "Viridiana" en somme. Avec Georges Géret (au début de sa carrière ! "Compartiments tueurs", "Z" (de Costa Gavras), "Flic ou voyou" (avec Bébel)...), Michel Piccoli (après avoir formé un couple avec B.B., il accompagnera Bunuel pour "Belle de jour" et "Le charme...". Revu tout récemment chez Nanni Moretti pour "Habemus papam"), Françoise Bertin (à partir des années 2000, elle a joué pour Chabrol ("La fleur du mal") puis elle a tourné dans l'avant-dernier Berri : "Ensemble, c'est tout") et Dominique Zardi (autre grande gueule du cinéma français : "Le doulos", "Pierrot le fou", "Max et les ferrailleurs", "Masques" (de Chabrol)...) notamment, tous à la même hauteur d'interprétation.
Pour terminer, "Le journal d'une femme de chambre" se doit d'être vu en raison de son accessibilité et de la domination charnelle d'une Jeanne Moreau nous dévoilant tout son potentiel d'actrice (je l'ai néanmoins préférée dans "Jules et Jim").
Spectateurs, à vos postes.