Après la sortie européenne de son premier film, Une famille respectable, Massoud Bakhshi a eu de gros problèmes dans son pays. Des plaintes ont été déposées contre lui et son producteur alors que le film n’est jamais sorti en Iran ! Des gens réclamaient même sa pendaison dans la presse... Le réalisateur se souvient :
"C’était absurde et effrayant... J’ai donc vécu une longue période d’attente avant de faire un deuxième film. J’avais déjà en tête l’histoire d’une femme condamnée à mort pour avoir tué son mari. J’y décrivais tous les événements depuis la rencontre, le mariage temporaire, les conflits avec le mari et la famille du mari, en particulier sa fille. L’attente tourmentée que j’ai subie a enrichi mon récit d’une dimension plus personnelle : je comprenais cette femme condamnée. Attendre un verdict et subir une punition alors qu’on ne connait pas précisément sa faute et ses conséquences, c’est douloureux."
Des émissions de télé-réalité similaires existent bel et bien en Iran... Elles mettent en scène, et en jeu, le pardon de condamnés sous différentes formes. "L’émission qui m’a particulièrement inspiré existe depuis une dizaine d’année, c’est un des grands succès de la programmation du mois du Ramadan en Iran. Un ami qui connaissait mon projet de film m’a conseillé de la regarder. J’ai été bouleversé : la vie et la mort d’un être comme sujet d’un show télévisé en direct ! Cette émission a inspiré le show du film que j’ai baptisé de manière satirique Le plaisir du pardon", explique Massoud Bakhshi.
Pour trouver la comédienne qui jouerait Maryam, Massoud Bakhshi a appris à mieux connaître la nouvelle génération des actrices iraniennes. Sadaf Asgari n’avait joué que dans un long métrage et quelques courts métrages, mais son énergie et sa motivation pour le rôle ont convaincu le réalisateur. Il confie :
"De plus, quand elle m’a raconté sa vie, l’histoire de sa famille, sa relation avec son père, ses expériences d’étudiante qui a toujours dû travailler pour vivre, j’ai vu qu’elle n’était pas si loin du personnage. J’ai adapté le scénario pour que Maryam ait l’âge de Sadaf. Avant le film, j’ai demandé à Sadaf de visiter des prisons et d’assister à des procès. On a visionné ensemble des documentaires et des fictions, dont mes films préférés sur le rapport mère-fille, Sonate d’automne de Ingmar Bergman et La Pianiste de Michael Haneke."
"Yalda" est une fête zoroastrienne qui marque le début de l’hiver, la nuit la plus longue de l’année. Les familles se réunissent avec leurs proches et leurs amis et récitent des poèmes de Hafez, un des piliers de la culture persane. Massoud Bakhshi explique :
"Cette fête m’a marqué depuis l’enfance, et j’y ai vu le moment parfait pour le déroulement de mon film : une longue nuit, où tout peut basculer, le temps pour Maryam, l’héroïne condamnée à mort, de donner enfin sa version du drame. On peut trouver troublant de rapprocher une fête d’une tragédie où se décide la vie ou la mort, et c’est bien ce qui fonde les contradictions entre le producteur et la responsable de l’antenne. À l’une qui reproche à l’émission d’être trop dure et pas assez "festive", l’autre oppose sa détermination à sauver la vie de Maryam. Mona (la fille de la victime) va quitter le pays. Cette nuit de fête est la dernière chance de Maryam d’obtenir le pardon de Mona, d’où sa lutte constante pour dire sa vérité, après l’éprouvante attente en prison."
Une grande partie du film se déroule au siège de la télévision, avec une unité de temps, de lieu et un huis clos presque total. "C’était une volonté assumée et ça a changé profondément le devenir du récit. Il s’agissait d’une décision délicate, qui impliquait de ne pas montrer les événements antérieurs, de ne pas développer certains faits en toile de fond, de ne pas entrer dans le détail de la loi. J’ai choisi un lieu filmique unique, sur le modèle réel, qui combine le plateau et ses coulisses, le spectacle et le drame invisible aux téléspectateurs", précise Massoud Bakhshi.
Massoud Bakhshi vient du documentaire et voulait un vrai studio de télévision pour la préparation, les répétitions et le tournage de Yalda, la nuit du pardon. Le cinéaste a fait des recherches de décors pendant près d’un an, mais n'a pas trouvé de régie disponible. Avec son équipe, il a donc décidé de reconstruire entièrement un studio de télé, régie incluse. Le metteur en scène se rappelle :
"Le décor a été fabriqué puis installé dans un théâtre, construit il y a quelques années, qui n’est pas dans le centre de Téhéran comme les autres, et donc un peu déserté. Mon équipe était composite entre techniciens iraniens, qui travaillent peu en dehors du pays ou des pays limitrophes, et techniciens européens. Le mélange a été enrichissant pour tous, l’équipe s’est montrée soudée et extrêmement solidaire du projet, je lui dois beaucoup. Nous avons souvent tourné de nuit. Il s’agissait constamment de conserver la cohérence temporelle de l’action, la continuité de l’espace, de rechercher l’effet du temps réel de l’histoire."