Pour son dernier film, Bertrand Blier organise un premier convoi, un convoi funéraire qui s’achève d’ailleurs avec la mort ; puis un second convoi, vital cette fois, qui prend la suite avec ce souci de partager une expérience tout entière détenue dans les recettes de cuisine de notre cher Gérard. Il y a, dans le mot même d’exception attenant au titre, cette idée de marginalité, posture qui renvoie bien entendu aux protagonistes de l’œuvre, mais également à la situation qu’occupe la filmographie de Blier au sein du cinéma français. Œuvre testamentaire dont la clausule refuse pourtant le tragique et préfère chanter la vie, ses coups-bas et ses amitiés, Convoi Exceptionnel regarde tous les paumés de la Terre comme des acteurs privés de leur texte et qui ne demandent que les pages qui les raccorderont enfin à la grande parade de l’existence. Nous avançons allègrement dans un espace incertain où fiction et réalité s’entrelacent, à la manière de deux badauds qui, par hasard, s’abordent, se parlent et finissent amis. Le cinéma de Blier a toujours su ouvrir des brèches dans son édifice dramatique pour y laisser entrer le hasard d’une rencontre, le charme d’une tirade par laquelle nous pénétrons l’intériorité d’une conscience et nous mettons à l’unisson avec les pulsations particulières d’un cœur qui bat. Depuis une distance malvenue, nous pourrions penser que le cinéaste se plaît, en guise de dernier tour de piste, à briser le quatrième mur. Il n’en est rien, puisqu’ici, pas de murs. Les personnages vont et viennent, découvrent des lieux, ressentent des émotions et, ce faisant, affirment que « disparaître est la dernière liberté qui nous reste ». Insaisissables caractères. Sources vives d’humanité. Tour à tour drôle et bouleversant, le film permet à deux grands, à deux immenses comédiens, de recouvrer une relation partagée dans le passé et renouvelée ici de sorte à l’inscrire dans l’éternité. Tour à tour brut et tendre, le film offre une très belle conclusion à l’œuvre de Blier. « Le cinéma, c’est de la vie. »