J'écris cette critique en réponse à de nombreuses autres.
Que cherchons nous quand nous allons au cinéma ? Un moment de distraction ? Une fenêtre su le monde ? Un point de vue original sur un sujet ? Une vision esthétique. ? D'autres choses encore ?
Qu'est ce qui nous. attire dans un film ? Et quel prix est-on prêt à payer ? Que faire quand un film nous bouscule, nous fait sortir de notre zone de confort, de nos habitudes, de nos éléments de lecture, de compréhension habituels ?
Nous l'oublions souvent mais le "système " cinématographique est une industrie, et de consommation de masse. Il est le plus souvent "optimisé " pour répondre à un besoin. élémentaire vis à vis des spectateurs (pour ne pas dire consommateurs) : le guider, baliser sa rencontre avec le film pour en maximiser la compréhension intellectuelle, esthétique, émotionnelle, entre autre, et leur satisfaction, leur sentiment de partage.
Ainsi les codes d'écritures des scénariis sont bien établi, et la mise en scène remplacée par de la réalisation (comme dans un cahier des charges ) qui limite les velléités de créativité et d'improvisation des auteurs.
Un exemple d'ailleurs évoqué succinctement dans Convoi Exceptionnel lors d'une sortie dans la brume de l'actrice Farida Farouadj. Le rôle de la musique qui illustre, surajoute, ponctue, illustre, signifie et remplace dans le signifiant. Il décharge.
Si on ne veut pas que tous les films sortant au cinéma deviennent des clones indifférenciés et archétypaux sans saveurs et originalité comment promouvoir des visions, des auteurs, des comédiens et des metteurs en scène de valeurs, n'hésitant pas à aller à l'encontre de nos attentes ?
Or C'est là qu'on arrive à ce film peu banal. Il est commode de juger ce dernier sur ses attentes, et c'est sans doute là que les commentaires des spectateurs se déploient.
D'une part on voit un film avec ses personnages se débattent qui comme des insectes dans une toile d'araignée avec des scénarios, alors que visiblement les choses s’enchaînent de telles manières que visiblement, justement, il n'y a pas d'histoire saillante pas de scénario au sens où on l'entend habituellement , même si Bertrand Blier est le scénariste de ce film, qu'il s'agit d'une collection de scènes (dont certaines très bonnes), très peu reliées entre elles. Ainsi on ne sait trop quel film on va voir, ce qu'il raconte tout à fait. On a du mal à suivre les situations, à y adhérer, beaucoup de chutes inutiles viennent ponctuer, passer les plats de manières plus ou moins adroite (comme ces débarquement répétitifs en mode commando des assistants apportant des pages nouvelles de scénario) des scènes savoureuses, et bien dialoguée, mise en valeur et je dois le reconnaître avec une sobriété peu usuelle chez eux par la plupart des acteurs, notamment par le drôle de couple Clavier/Depardieu (et ça fait du bien qu'ils déploient avec justesse ces éléments de sobriété, ce que le public semble ignorer tout habitué à leur excès et pitrerie ordinaires, ce faisant à mes yeux je les redécouvre comme les grands acteurs qu'ils restent, en attente d'une excellente partition, les fameux dialogues dont le film par moments nous fait le cadeau). Du coup, entre les moments d'ennui et d'agacement, peut être volontaire de la part du réalisateur, dans une sorte de critique du monde du cinéma, de très belles scènes, des petits sketchs, des entités de films en graine qui sait, à montrer, je trouve, en école de cinéma, montrant plusieurs qualités de technique, de direction d'acteur, d'écriture apparaissent bel et bien. Mais justement c'est une gageure, car ce film à la durée ridiculement petite (1h23 avec le générique) nous parait incroyablement long, comme s'il durait 3 fois sa durée réelle, comme s'il était rempli jusqu'à la gueule de scènes, comme si les choses étaient engluées dans cette déambulation des deux personnages, leurs rencontres avec l'équipe du film, dans cette ville, dans ces rues désertes, de nuit. Tout cela entraîne le spectateur, sans doute fatigué de sa journée, qui a envie de divertissement, qui veut pouvoir comprendre, qui a ses habitudes de malbouffe cinématographique vers les affres du sommeil et de l'ennui, et pourtant...
Pourtant, il faut faire confiance à l'auteur et à ses acteurs, il faut se laisser porter, aller à la rencontre, trouver une voie, pour soi, faire sens pour soi, avec son cœur ou son esprit dans ce film. Car un film est ne l'oublions pas une oeuvre collective. Un enseignant de laboratoire de scénario me disait que le scénario doit créer "le désir", désir chez toutes les personnes qui vont participer à cette oeuvre, à cette entreprise, cette aventure au long cours folle qu'est un film. Il ouvre sur la collaboration de toute une équipe technique -(électriciens, techniciens d'éclairage, son, maquilleurs, etc.) qui pour chacun apportera sa contribution, mais aussi il doit créer le projet autours du metteur en scène, des ses assistants (et en premier lieu le chef opérateur qui entre autre fera émerger la richesse esthétique du film), les comédiens, les producteurs (qui financent le film et veulent en maîtriser les coûts et risques pour que le film existe, soit diffusé et soit un succès pour produire d'autres films), les musiciens collaborant à l'ambiance sonore etc. Cela est pour le premier cercle. Mais au delà le film doit convaincre les diffuseurs pour être distribué, il doit rencontrer les journalistes et critiques professionnels qui vont en parler, et au final la rencontre avec le public. Par la suite le film, lors de ses passages télé par exemple, ou par sa diffusion post cinéma (dvd, blue ray, chaines de VOD) a une autre vie qu'au moment de sa sortie. Il arrive qu'un film honni à sa sortie finisse par devenir un classique (tel les tontons flingueurs) et qu'au contraire une belle sortie en salle finisse par faire un film oublié de tous. Les destins de chaque film est unique. Pourtant lorsque le film débute, en tant qu'aventure, à chaque étape, pour ceux qui y participent, c'est un véritable engagement, bien au delà de leur cachet. Ils y croient. Ils ne font donc pas les choses au hasard. Et l'organisateur de tout cela, le chef d'orchestre c'est le metteur en scène. Il fera en sorte que ce sera un film banal ou pas.
Je ne vais pas prétendre que le film de Bertrand Blier soit un chef d'oeuvre, un grand film, un film qui comptera, qui révélera des choses neuves, définitives, qui sortiront des cadres.Mais la critique est injuste. La seconde objection des spectateurs au niveau de leurs attentes est qu'ils attendaient semble-t-il mieux d'un tel réalisateur, de celui qui leur avait livré entre autres saveurs, "les valseuses", "Buffet froid", "Trop belle pour toi", ou le plus récent "Bruit des glaçons". On fait comme si on attendait mieux de lui, alors qu'il fait ce qu'il sait faire, comme il sait le faire, avec sa liberté, son non conformisme , son absence de réponse "dans le corps du film aux contraintes et "diktats" des exigences qu'imposent le fonctionnement de l'industrie du cinéma aujourd'hui.
On reproche le scénario du film, mais qui peut dire que de tels dialogues, situations, et compositions soient dues à de l'improvisation ? On a l'air de dire que Blier a 80 ans, qu'il perd la main, que c'est bien triste de finir sa carrière ainsi. Je ne vois pas toutes ces choses, je vois une critique parfois féroce, parfois tendre et amusée, celle de quelqu'un qui s'amuse à nous créer de jolies scènes, de belles émotions avec ses comédiens. Certes il n'y a pas de vraie histoire, mais comment ne pas pardonner à ce qui fait les ressorts même de l'exercice narratif habituel de Bertrand Blier ? On reproche à ce film l'ennui auquel il nous conduit alors qu'il faut faire son miel ou pas de ce qu'on voit. Le spectateur a une part active dans la manière dont le film est reçu. Il doit donc se montrer ouvert pendant les 1h23 de projection, car ce film peut nous surprendre, nous émouvoir, pour peu qu'on ne se laisse pas aller au facile renoncement de la paresse intellectuelle. Mais est-on encore capable de rester à l'écoute au travers d'une scène de ce qui peut être touchant (la scène entre Alexandra Lamy et Christian Clavier par exemple), ou un clin d’œil tendre et amusé (par exemple la scène avec Guy Marchand racontant par les titres ses infortunes de producteur de navets). Je me dis que ce film, avec ses défauts vaut mieux qu'un film trop produit, trop contrôlé sur les recettes du succès, avec leurs arcs narratifs optimisés, mais sera vite oublié. Il est celui d'un homme libre et qui connait son métier, et avec des comédiens qui ont confiance en son cinéma, en une proposition différente.On prétend que les comédiens y sont en roue libre, mais je n'y crois guère, c'est trop écrit et dirigé pour un œil aguerri . Mais je reconnais que de nombreuses scènes, y compris compris avec des acteurs connus (comme Audrey Dana ou Alex Lutz) auraient pu être évitables et font dans le remplissage. Ce n'est donc ni un mauvais ni un bon film, mais certains passages, valent le détour. Il mérite d'être vu pour ouvrir le débat sur ce que nous attendons du cinéma.... En somme et pour comparer le cinéma de Blier c'est comme un fromage au lait cru , bien français, imprévisible face au fromage aseptisé pasteurisé et sans goût fort....