Quand on se dit “film criminel colombien”, on pense à la drogue en premier lieu, & on a raison. Pourtant, c’est parce que c’était un film colombien sur la drogue que je n’ai… absolument pas vu la Colombie. J’ai vu un pays où c’est un euphémisme de dire que la drogue fait la loi, car elle fait aussi tout le reste : les frontières, les traditions, les gens, la guerre.
De ce petit paradis de l’or vert, Ciro Guerra & sa femme font un film comme les Wayuus chantent la mémoire & les rêves de leurs ancêtres : sans littérature, une vérité brute. Les Wayuus, ce sont les autochtones ; ils appellent les hispanophones & les anglophones des gringos mais vivent de la doctrine qu’ils apportent : le capitalisme.
Entre tradition & luxe, rites & guérillas, les jeunes font leur trou entre différents pôles & rapports de force qui, pour le coup, s’adressent au plus touriste des spectateurs – là encore (& cette fois-ci c’est dommage), le film n’est pas porté sur le sous-texte. En revanche, quand les réalisateurs veulent faire du dramatique, ça sort de nulle part & c’est piquant – plus rien à voir alors avec la parole souvent ignorée de la mère superstitieuse qui ne perd malgré tout jamais de son panache tandis qu’elle préserve pour nous le lien fondamental entre l’infini & l’infinitésimal, cette sécularité salvatrice qui, en même temps que l’image, met Hommes & criquets au même rang.
Sous sa forme de saga en cinq chants qui prend le passé très au sérieux en sachant manier l’adrénaline par moments, Les Oiseaux de Passage est un Sicario homemade, moins pénétrant mais sur plus d’octaves. Dans cette enclave supposément colombienne, la drogue installe donc des îlots plutôt cocasses : des villas au milieu de nulle part, ici dans le désert, là dans la montagne – on voit naître une guerre des clans qui n’a rien à envier à Dune, sauf que ce n’est pas la même “épice” qui est en jeu.
L’aspect cocasse, soulageant souvent Guerra & Gallego du fardeau de l’histoire trop vraie, apparaît à des moments qui frisent le mauvais goût : lorsque la guerre éclate entre les deux maisons, les morts se multiplient, & tous les corps tombent dans la même posture & avec la même dose de faux sang mal réparti, comme la moquerie bien peu ésotérique qu’on lâche devant des enfantillages, ultime métaphore d’un enjeu qui est le même pour tout le monde. En ne montrant jamais l’instant fatal pour toutes ces victimes, les réalisateurs recherchent l’élégance, demeurant néanmoins périphériques à une vérité chargée de culture & d’humanisme bafoués.
Après tout ça, comblé qu’on est de paysages & les oreilles remplies de langue wayuu, tout ce qui nous vient à l’esprit reste : “d’accord”. On n’interjecte pas. On se remémore quelques images, comme l’inoubliable comptage de l’argent par la pesée des billets (magique), mais on est pris d’un léger syndrome du tout-ça-pour-ça. Guerra a fait du beau pour du beau, une recette artistiquement convaincante mais qui mène vite l’analyse dans une impasse.
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