Après avoir filmé les sans-abris parisiens dans Au bord du monde, Claus Drexel s'est intéressé aux Etats-Unis, un pays qu'il aime et qui le désespère à la fois. Le metteur en scène explique : "En mai 2016, quand Donald Trump est devenu le candidat officiel du parti républicain, j’ai ressenti une certitude : cette campagne qui s’annonçait entre lui et Hillary Clinton, je voulais la vivre sur place. J’ai appelé Sylvain Leser, mon fidèle directeur photo, ainsi que Laurent Lavolé, mon producteur. Ils ont spontanément été intéressés par le projet, et on a monté ce film très rapidement."
Dans America, Claus Drexel a cherché à faire en sorte que le paysage filmé raconte quelque chose de l’intimité des personnes dont il fait le portrait (comme il en était de même que dans Au bord du monde avec la beauté de l'architecture parisienne reflétant la beauté intérieure des clochards). Il développe : "Pour ce nouveau film, où nous allons à la rencontre de "Rednecks", ces Américains profondément attachés à leur pays, il nous fallait un symbole fort de l’Amérique. Et quel meilleur symbole que le Far West, avec le Grand Canyon, Monument Valley, ces paysages mythiques, immortalisés par John Ford et les affrontements entre cowboys et Indiens ? J’avais traversé l’Ouest américain avec mon sac à dos il y a 25 ans."
Claus Drexel et son équipe ont réalisé tout le film en 14 mm, une focale très courte permettant d’inscrire les gens dans un cadre qui raconte quelque chose d’eux, un objectif qui place à bonne distance, respectueuse. "Bien sûr, avoir une seule focale n’est pas toujours très pratique, notamment pour filmer les paysages, mais ça oblige à être sûr de son cadre, à être constamment rigoureux. La contrainte est souvent source de créativité", se rappelle-t-il.
Claus Drexel a convaincu les habitants de Seligman de se laisser filmer de manière très simple, en leur expliquant son désir de faire entendre leur parole sans les juger. Le cinéaste se souvient : "On a été très bien accueillis. Et les gens adoraient l’idée qu’un film intitulé America soit tourné dans leur ville perdue au milieu du désert ! Je ne leur ai pas expliqué grand-chose avant de tourner. Les paroles sont plus fortes, plus profondes quand elles sont dites pour la première fois. C’est cela que doit capter la caméra."
Après Affaire de Famille avec André Dussollier et Miou-Miou (2008), puis Au Bord du Monde, un documentaire sur les sans abri parisiens (2014), America est le troisième long-métrage de Claus Drexel. Par ailleurs, il a dirigé la mise en scène de la Passion selon Saint Matthieu de JS Bach au Cirque d’Hiver de Paris, avec Didier Sandre dans le rôle de l’évangéliste (2012).
En tournant ce film, Claus Drexel est parti sur le terrain à la manière d'un ethnologue, non pour étayer une thèse mais pour essayer de comprendre les choses. Il a ainsi découvert la dureté de la vie de ces gens, une dureté qui explique la rudesse dont ils font preuve. Le metteur en scène ajoute : "Mais j’ai surtout été frappé par la disposition des gens à voter contre leur propre intérêt : Trump était manifestement le candidat des riches et tous les pauvres ont voté pour lui. Comme si l’illusion de faire partie d’une équipe qui gagne était plus importante que leur propre situation : des fantassins prêts à se sacrifier pour la gloire la Nation. C’est une démarche viscérale, naïve, suicidaire, même. Car au fond d’eux-mêmes, ils savent bien que Trump ne sauvera pas l’Amérique. Je crois qu’ils voulaient mettre un coup de pied dans la fourmilière. Sauf que cette fourmilière, c’est notre planète..."