La genèse du projet est arrivée de manière inattendue, lors d’une discussion qu'a eue Mila Turajlic à propos de sa maison familiale et où elle décrivait la façon dont elle vivait avec ses voisins invisibles depuis la Seconde Guerre mondiale. Enfant, elle n'y voyait rien d’étrange. La future cinéaste était proche de la trentaine, quand bizarrement, elle a pris réellement conscience de cette situation très inhabituelle, une situation qui offrait un prisme intéressant pour comprendre son pays. Elle développe :
"J’ai aussi réalisé que le contexte dans lequel j’avais grandi, ce salon politique que mes grands-parents avaient créé chez nous et que mes parents avaient perpétué, m’avait toujours donné ce point de vue privilégié pour la compréhension de ce tourbillon d’événements majeurs qui éclataient au-dessus de nos têtes. Comment était-ce pour vous d’interviewer votre propre mère, car elle est, à bien des égards, le sujet du documentaire ? Mon plus gros problème était que ma mère est tellement habituée aux journalistes et aux dis - cours, et à enseigner puisqu’elle a toujours été professeure, que j’avais besoin de trouver la bonne façon de rompre avec ces moyens de communication essentiellement protecteurs, afin de trouver le véritable ton intime de notre conversation. Au début du film, je ne la voyais pas comme le sujet - pour moi c’était l’appartement et elle en était la gardienne. Cela m’a aidé. Au fil du temps, j’ai commencé à réaliser que les questions que je lui posais avaient leur place dans la dramaturgie - que nous développions ce dialogue mère-fille, d’une génération confrontée à une autre. Mais je dois avouer que j’ai profité du fait que, en tant que mère, elle l’a fait comme une faveur à sa fille, et qu’elle ne pouvait pas me dire non."
"Je suis née en 1979, j’avais 1 an quand Tito est mort et 11 ans quand Milosevic est arrivé au pouvoir, 12 ans quand la guerre en ex-Yougoslavie a commencé, 16 quand elle s’est achevée, 20 ans quand l'OTAN nous a bombardés, 21 quand nous nous sommes finalement débarrassés de Miloševic, 24 lorsque notre Premier Ministre a été assassiné, et aujourd'hui, à l'âge mûr de 39 ans, je veux parler de mon pays, d'un point de vue très personnel, et d'un point de départ très précis - l'endroit où je vis."
L’Envers d’une histoire a remporté plus de 20 prix et a été sélectionné dans plus de soixante festivals :
- Meilleur long métrage documentaire 2017 - International Documentary Filmfestival Amsterdam
- Sélection officielle 2018 - Festival international du film de La Rochelle
- Sélection Tiff Docs 2018 - Toronto international film festival
- Objectif d'or de la Compétition internationale 2017 - Millenium film festival, Bruxelles
- Prix Fipresci 2018 - Zagrebdox
- Golden Stamp du meilleur film 2018, compétition régionale - Zagrebdox
- Prix du Public 2018 - Zagrebdox
- Mention spéciale du Jury, meilleure Photographie 2018 - SEEfest Los Angeles
- Mention spéciale du Jury 2018 - Festival du film sur les droits humains, Lausanne
- Meilleur réalisateur 2018 de la compétition documentaire - River Run Film Festival, Salem
- Prix de la diversité culturelle Cultural 2018 - goEast FF, Wiesbaden
- Meilleur documentaire 2018- Festival international du film, Uruguay
- Mention spéciale 2018, section Love and Change - if!, Festival international du film indépendant d’Istanbul
Avec L'Envers d'une histoire, Mila Turajlic a passé presque trois années sur son lieu de tournage principal, qui est aussi son chez elle. "Tout devient une scène potentielle. Chaque fois que la porte sonne, chaque appel téléphonique, chaque fois qu’il y a du bruit à l’extérieur, à la fenêtre, il faut être vigilant car cela peut être intéressant. C’était comme être dans ce mode de combat intensif tout en faisant des choses de tous les jours. La caméra devait toujours être à proximité, chargée et prête, et mon esprit devait toujours penser de façon dramaturgique. Le plus dur était de filmer les scènes de groupe – les invités dans notre maison. J’en connais la plupart depuis ma naissance. Ils sont venus pour une soirée décontractée, certainement pas avec l’intention d’être scrutés par une caméra. L’acceptation de ma présence avec ma caméra a pris beaucoup de temps", se rappelle la réalisatrice.
Un autre défi majeur a été de rassembler les archives des années 1990, en particulier celles des manifestations et de la résistance contre Milošević. A cette époque, seules les chaînes de télévision privées indépendantes, et certains caméramans, filmaient ce qui se passait - la télévision publique ne couvrait pas cela. "À chaque instant la police pouvait pénétrer dans leurs bureaux et confisquer leurs cassettes. Et ils sont partis. L’enjeu était donc de trouver des gens qui gardent encore une partie de ces choses dans leur sous-sol. Cela veut dire que les images de la résistance en Serbie ont disparu", précise Mila Turajlic.
La police sonna à la porte une fois alors que Mila Turajlic filmait leurs barricades depuis la fenêtre, menaçant d’entrer dans la maison et de confisquer ses appareils si elle ne leur livrait pas son matériel. "Et il y a eu la nuit où les hooligans que j’enregistrais m’ont repérée et je les ai entendus entrer dans le bâtiment - c’était un peu troublant. C’est un cas de « nous savons où vous vivez ». Mais dans l’ensemble, ce n’était pas plus dangereux que d’être dans la rue lors des manifestations des années 1990", confie la cinéaste.
Née en 1979 à Belgrade (Serbie), Mila Turajlić est titulaire d’un doctorat en cinéma à l’université de Westminster. Diplômé également en sciences poli - tiques et relations internationales à Londres, elle étu - die la production cinématographique à Belgrade et la réalisation documentaire à La Fémis à Paris. Son pre - mier long métrage documentaire, Cinema Komunisto (2011), se voit décerner seize prix à travers le monde. Elle contribue au lancement du Magnificent 7 Festival à Belgrade et est l’une des fondatrices de l’association des documentaristes de Serbie, DOKSerbia.