Les Chatouilles est l'adaptation de la pièce interprétée par Andréa Bescond, "Les Chatouilles ou la danse de la colère." L'artiste y racontait notamment les agressions sexuelles subies quand elle était enfant.
"J’avais déjà raconté à Eric Métayer, de manière décousue, les violences sexuelles dont j’avais été victime dans mon enfance, et plus je lui en parlais, plus j’évoquais aussi les rencontres cocasses et inattendues que j’avais faites et qui m’avaient ramenée vers la lumière. En m’écoutant, Eric a compris que me confier me faisait du bien et que mon témoignage pouvait aider beaucoup de gens qui, eux aussi, avaient vécu ce type de violence. Comme j’étais enceinte de mon deuxième enfant et que je me demandais quoi faire de mes journées, j’ai commencé à écrire et Eric m’y a encouragée. À partir de mon récit, on a fait des impros, j’ai écrit les dialogues et Eric a conçu la mise en scène. En 2014, on a présenté le spectacle au festival d’Avignon pour la première fois. Depuis, on l’a joué plus de 400 fois."
"Au départ, c’est vraiment une pièce qu’on voulait écrire comme un témoignage d’Andréa Bescond", souligne Eric Métayer. "À l’arrivée, on s’est rendu compte que c’était un texte qui parlait à tout le monde, même si ce n’était pas notre intention initiale. En revanche, quand on a écrit le film, on était conscients qu’il s’agissait d’un phénomène qui touche beaucoup de gens", ajoute le réalisateur. "Grâce au spectacle, on a été frappés de constater à quel point les violences sur mineurs sont un fléau. On s’est mis à recevoir des centaines, puis des milliers de témoignages de gens qui me confiaient leur secret. Plusieurs d’entre eux me les envoyaient en message privé : «Vous me donnez du courage, personne n’est au courant, je suis aujourd’hui parent, je ne veux pas faire de mal à ma famille et j’espère qu’un jour j’aurai la force de révéler les choses…»", confie Andréa Bescond.
Après avoir vécu plusieurs «standing ovations» avec le spectacle, Andréa Bescond et Eric Métayer, qui sont en couple à la ville, ont commencé à avoir des rêves de cinéma. "On délirait totalement en fantasmant que Karin Viard jouerait la mère ! C’était comme un rêve de gosse. Et puis, une série de coïncidences totalement folles se sont enchaînées. François Kraus est venu à Avignon, a découvert le spectacle et nous a proposé d’en faire un film. Le plus délirant, c’est qu’il avait demandé à des amis ce qu’il fallait voir à Avignon et qu’il a interrogé – sans le savoir – l’agent d’Andréa et le mien ! Bien entendu, les deux lui ont conseillé d’aller voir LES CHATOUILLES ! (rires)", se souvient le cinéaste.
"François et son associé Denis Pineau-Valencienne ont fait preuve d’une audace incroyable. Ils nous ont dit «Vous n’avez jamais écrit de scénario – peu importe, au besoin, on vous proposera l’aide d’un consultant. Vous n’avez jamais réalisé, mais on adore produire les premiers films. Enfin, personne d’autre ne peut jouer Odette que toi, Andréa, et on t’entourera de têtes d’affiche». Ils nous ont fait totalement confiance, en nous laissant prendre le temps qu’il fallait. Ils nous ont même donné la possibilité de réaliser une maquette avant de partir en tournage. Et on a quasiment pu réunir l’équipe du long, Pierre Aïm en tête, qui comme tous les chefs de poste, était investi, à l’écoute et dépourvu d’égo", ajoute l'actrice et réalisatrice.
Andréa Bescond et Eric Métayer voulaient se détacher de la construction du spectacle, adopter des angles différents et développer notamment les «dommages collatéraux» : la manière dont une famille éclate ou encore la part de responsabilité et de culpabilité de chacun. Car c’est avant tout un film choral. "Plusieurs personnages du film n’existaient pas dans la pièce. Le père, par exemple, qui est un contrepoint de la mère. On voulait aussi parler d’une relation de couple qui a du mal à se construire car une personne victime de ce genre de violence considère qu’elle n’a pas accès à ce type de rapport amoureux", relate le cinéaste.
Pour André Bescond et Eric Métayer, Karin Viard était une évidence, "parce que c’est une actrice phénoménale, et qu’elle a une vraie ressemblance physique avec moi", explique la réalisatrice. "Elle a un registre de jeu très large et elle est capable de passer de la colère à la douceur en deux secondes. C’était un rêve d’avoir une séquence en tête-à-tête avec elle, sur le perron du commissariat, et d’admirer son professionnalisme", ajoute-t-elle. "Elle sait aussi amener de l’humour sur des choses infimes, comme dans la scène du restaurant", relate Métayer. "Pour le père, on voulait quelqu’un de terrien, ancré dans le sol, et de doux. Cet homme se bat pour exister, pour subvenir aux besoins de sa famille. Il fait tout pour arrondir les angles, car il veut juste vivre en paix et dans la sérénité. Eric : On voulait un père qui, malgré son évidente force physique, ne réussit pas à régler le problème. On le constate quand Odette fantasme que son père explose la gueule de Miguié", analyse Bescond.
Clovis Cornillac possède ce mélange de force et de douceur que les réalisateurs recherchaient. "Les parents d’Odette bossent tout le temps : ils sont totalement investis dans leur travail et occupés à faire vivre leur famille, à avoir une jolie maison, et à payer les études de danse de leur fille. Parfois, on est trop fatigué, et trop englué dans les problèmes du quotidien, pour voir ce qui se passe dans son propre foyer. Pour Miguié, on était heureux d’engager Pierre Deladonchamps car on voulait quelqu’un qui se démarque de l’image du pédro-criminel. Miguié a réussi sur un plan social et professionnel, il est marié à une femme très belle et a des enfants magnifiques. Il est lumineux et intelligent, et du coup, son obsession ne vient pas d’une misère sociale, affective ou sexuelle", souligne Bescond.
Andréa Bescond et Eric Métayer n'ont pas la prétention de penser qu’un film puisse faire bouger les choses. Mais, selon eux, un outil artistique comme le cinéma peut toucher un large public. "On est un peu résignés sur un plan politique. Marlène Schiappa se démène mais elle doit affronter le puissant lobby des magistrats qui se satisfont du statu quo. Étant donné qu’ils ont allongé le délai de prescription, ils renvoient les affaires de pédo-criminalité en correctionnelle alors qu’un viol est un crime qui devrait être jugé en Cour d’Assises. Beaucoup de gens se protègent et protègent leurs amis, issus de la libération sexuelle des années 70. On est des milliers de victimes à parler de la toxicité des relations sexuelles qui ont lieu pendant l’enfance. Aujourd’hui, si Odette prenait la main de Miguié, on pourrait dire qu’elle est consentante !
On arguerait du fait qu’elle «n’a rien dit», qu’elle «ne s’est pas débattue» et qu’elle a «suivi l’adulte». Il faut lutter pour montrer aux magistrats qu’on est en vigilance et qu’on est des milliers à témoigner de cette toxicité. Tout l’argumentaire sur le consentement d’enfants de moins de 13 ans est hallucinant. On sait que certains magistrats ont conscience de l’état de sidération des enfants, mais pas d’autres. Et ce type d’agressions sexuelles crée des désordres psychologiques souvent irréparables. 154 000 enfants sont violés chaque année en France. C’est un fléau terrible et favorisé avec la complicité de chacun. Il faut se rebeller contre l’inaction de la Justice et il faut qu’entre citoyens on en parle et qu’on agisse", dénoncent les réalisateurs.
Les Chatouilles a remporté le César de la meilleure adaptation ainsi que celui du meilleur second rôle féminin pour Karin Viard.