Haifaa al Mensour propose un long métrage qui mérite le détour. Au cœur de cet été cinéma si étrange, pourquoi se priver d’un film courageux, très dépaysant et très instructif sur un pays et une société que l’on connait si mal ? Son film, qui dure quand même plus de 1h40, est une plongée la tête la première dans la société saoudienne de 2020. On peut trouver des petits défauts ici où là à sa réalisation mais dans l’ensemble, il est très bien tenu. La réalisation d’ al Mensour est certes très académique mais l’importance n’est pas dans la forme, il est dans le fond. Alors on passe volontiers l’éponge sur certaines scènes un peu superflues, sur une intrigue qui semble s’éparpiller un peu par moment, sur la présence un peu envahissante de la musique pour se concentrer sur l’histoire de Maryam. Cette jeune femme, qui doit avoir presque 30 ans est médecin, elle n’est pas mariée, elle conduit sa propre voiture neuve, elle a le droit de vote et le droit d’être élue
et n’a pas la droit de voyager à l’étranger sans l’autorisation de son tuteur.
C’est le résumé parfait d’une société saoudienne qui fait le grand écart entre une modernité technique très occidentale et des traditions vieilles de plusieurs siècles qui reculent, tout doucement, tout petits pas par tout petits pas. La jeune femme que le scénario met en lumière a quand même un destin qui n’est sans doute pas le destin de la saoudienne lambda, elle semble avoir eu une éducation peu traditionnaliste.
Sa mère était chanteuse (elle est morte) et son père est musicien. Au travers de l’histoire de ses parents, on comprend vite qu’ils se sentaient également à l’étroit dans la vie culturelle de leur pays, une vie culturelle sclérosée qui, elle aussi, se détend tout doucement. L’histoire du père de Maryam prend une place non négligeable dans le film, on le voit en tournée, rêver d’intégrer l’orchestre national saoudien en tant que joueur de oud, se produire sur scène malgré les menaces des intégristes, et se lamenter sur les aventures électorales de sa fille dans jamais vraiment essayer de la décourager.
Je me demandais au début du film pourquoi son histoire à lui prenait autant de place, mais au final je crois que c’est pour expliquer pourquoi Maryam se sent assez solide pour se lancer dans une campagne électorale :
elle a été élevée par un homme qui lui aussi, est à la poursuite de ses rêves et se bat pour les concrétiser. Peu importe au final les résultats de l’élection (on ne se fait pas tellement plus d’illusions qu’elle sur le sujet), nul besoin d’en faire des tonnes sur un suspens de pacotille, l’important est ailleurs.
L’important, c’est cette photographie étonnante de l’Arabie Saoudite d’aujourd’hui, qui semble avancer à marche forcée vers une modernité toute relative. C’est une société très corsetée par la religion, évidemment, avec la prière, le voile quasi intégral, la séparation homme/femme quasi-totale hors du foyer, la mise sous tutelle de la moitié de la population par l’autre moitié, la menace permanente du radicalisme.
Mais c’est aussi une société qui nous offre des moments étonnants, où on organise des défilés de mode pour présenter de modèles de niquabs qui jouent avec les limites du vêtement (on y ajoute des froufrou, ce qui est un peu surréalistes !), où se trémousse aux concerts de musique traditionnelle comme si on était au Zénith, où tout le monde s’habille de la même manière sans exception, où les femmes ne sont reconnaissables que par leur regard (et donc où il faut toujours dire qui on est car ça ne saute pas aux yeux !), où les femmes peuvent aussi réaliser des films, apparemment,
toutes ces choses qui nous paraissent souvent étranges mais parfois très familières. C’est un peu déroutant et on se rend compte que l’on croyais savoir ce qu’est la vie en Arabie Saoudite mais qu’en réalité, tout est bien plus complexe et nuancé. Le film repose en grande partie sur le personnage de Maryam, très bien incarné par la très belle Mila Alzahrani. Elle donne à son personnage à la fois une grande force et une vraie fragilité, elle fait elle aussi le grand écart permanent entre les deux. Elle est l’ainée d’une fratrie de 3 filles, elle a fait des études, elle est ambitieuse
et pas du tout pressée de se marier. Elle n’a pas peur des hommes, de la rumeur et des insultes et sa plus grande victoire n’est pas électorale : sa plus grande victoire réside dans la scène de fin à l’hôpital, très touchante.
Sa plus jeune sœur semble moins téméraire, un peu tétanisée par le « qu’en dira-t-on ». Sa troisième sœur, celle du milieu (qui est une sorte d’organisatrice de mariage), lui ressemble davantage,
elle a elle aussi un métier et ne semble pas attendre un mari à tout prix. Elle filme les mariages des autres sans jamais évoquer le sien.
On est quand même un peu éloignée de l’image que l’on a des femmes saoudienne, ici, en Europe. Bien sur elles semblent faire figure d’exception mais quand même, c’est une toute petite brise de fraicheur dans ce pays écrasé de soleil et de tradition. « The Perfect Candidate » mérite le déplacement, il mérite que l’on s’accorde 1h40 en VOST, il mérite que l’on écoute patiemment ses nombreuses scènes de musique traditionnelle, ses chanson aux paroles religieuses, il mérite d’être vu. « The Perfect Candidate » nous permet de toucher du bout du doigt la réalité contrastée de la condition des femmes (et celle des artistes) en Arabie Saoudite, une réalité qui progresse, un petit peu, un tout petit peu…