Frederick Wiseman a toujours aimé et fréquenté les bibliothèques, "parce qu’on y découvre des choses inattendues et parce qu’on peut tout y trouver, par exemple les horaires des trains entre Pinsk et Minsk en 1875 ou la correspondance entre William Butler Yeats et Ottoline Morrell de 1902 !", s'amuse-t-il. Le metteur en scène poursuit quant aux raisons l'ayant poussé à réaliser un documentaire centré sur la bibliothèque publique de New York :
"Je ne m’étais alors pas imaginé tout ce que représentait une bibliothèque comme celle de New York, surtout dans les quartiers populaires. La New York Public Library (NYPL) a son bâtiment central célèbre, mais aussi près de 90 branches partout dans la ville. C’est aussi l’immensité de leurs archives, de leurs collections, la diversité de leur programmation et l’implication réelle et passionnée de ses équipes, tout comme leur dévotion et capacités à aider les autres qui m’ont attirés."
Pour Frederick Wiseman, la NYPL, n’est pas seulement un endroit où les gens vont chercher des livres ou consulter des archives, c’est aussi une institution qui est centrale pour les habitants et les citoyens, notamment dans les quartiers pauvres comme le Bronx. En ce sens, le réalisateur est tout à fait d'accord avec l'un des intervenants du film dit que les bibliothèques sont des "piliers de la démocratie". Wiseman développe :
"C’est très impressionnant d’arriver dans un endroit où les gens travaillent vraiment à aider les autres, et notamment les plus pauvres ! On voit dans le film l’étendue du spectre d’activités proposées par la NYPL : des cours de langue pour les immigrés, des cours d’informatique, des aides à la création d’entreprise… On sent à quel point les différents lieux où la NYPL est installée sont importants dans la vie des gens. Mais, surtout, ce sont des endroits où tout le monde peut venir, sans exception, sans avoir besoin de présenter une carte d’identité."
Alors que les bibliothèques peuvent avoir une image austère, Ex Libris The New York Public Library montre beaucoup de moments joyeux. "Il y a quelque chose de joyeux parce que l’esprit est contagieux, parce que ceux qui travaillent à la NYPL sont inventifs et généreux. Ce n’est pas la solution pour tout ce qui se passe en Amérique, mais c’est magnifique qu’une telle institution existe. L’actuel président de la bibliothèque s’est donné comme objectif de continuer les missions traditionnelles de la bibliothèque, mais aussi d’aider les populations pauvres", raconte Frederick Wiseman.
Ex Libris The New York Public Library est très long : 3h 20. Frederick Wiseman justifie ce choix : "Mes films durent la durée nécessaire, lorsqu’ils aboutissent après des mois de montage. Parfois, cela peut être six heures, comme pour Near Death, parfois 84 minutes, comme pour Titicut Follies. Je n’accepte aucune restriction de la part des chaînes de télévision, parce que j’ai lutté, au début de ma carrière, avec la télévision publique, pour cela. Le film dure la durée que je pense être juste. Mon devoir se situe envers les gens que je filme, et envers les spectateurs, et pas envers les chaînes de télévision qui estiment que l’attention du public ne peut dépasser 52 minutes ou qui ont besoin de caler un nombre élevé de programmes dans la même soirée."
Contrairement à ce que son nom peut penser, la New York Public Library n’est pas une institution seulement publique, mais un partenariat public/privé, puisque près de la moitié du budget provient de fonds et de fondations privées.
Ex libris désigne au départ l’inscription à l’intérieur d’un livre du nom du propriétaire, et prend parfois la forme d’une image ou d’un blason. Frederick Wiseman a choisi ce titre en rapport avec une private joke, puisque son beau-père avait mis ex libertis avec son nom sur tous les livres qu’il avait achetés dans sa bibliothèque. Le ciénaste explique également :
"Mais ce que je veux surtout indiquer est que mon film ne reflète pas tout ce qui se passe à la New York Public Library, de la même façon que j’ai intitulé mes films précédents At Berkeley ou In Jackson Heights, parce qu’il n’est pas possible de filmer tout ce qui se passe dans ces lieux. Mais ici, plutôt que d’avoir à titrer From The Library, il existait une expression latine permettant de suggérer cela."
Frederick Wiseman a monté Ex Libris The New York Public Library en numérique, un format qu'il a utilisé pour la première fois sur La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, en 2009. Le réalisateur a toutefois filmé ce nouveau documentaire en analogique. Il explique par rapport à cette question des formats :
"Je trouve qu’on raconte beaucoup de conneries sur les différences entre le montage analogique et numérique. Ce n’est pas la machine qui effectue les choix et les coupes ! Ca me prend exactement le même temps de monter le film en numérique ou en analogique. Le travail se fait dans la tête, pas dans la machine. Ce n’est pas parce que la machine est informatisée que je peux lui dire : "Tiens, voilà cinq heures de rushs, prépare-moi une séquence de cinq minutes. Le système numérique Avid que j’utilise aujourd’hui est d’ailleurs issu du système analogique Steenbeck. La seule chose qui va plus vite est la possibilité de récupérer tel ou tel plan, mais ça n’est pas nécessairement une bonne chose. Quand la bobine était sur le mur, qu’il fallait aller la chercher, la poser sur la Steenbeck pour chercher tel ou tel plan, ce n’était pas du temps perdu. On revoyait ce qu’il y avait avant et après et cela pouvait donner des idées."