L'idée de Djam est venue à Tony Gatlif lors de sa découverte de la musique Rebetiko au cours d'un voyage en Turquie en 1983 :
"J’étais venu présenter mon film Les Princes. C’est une musique qui s’est développée dans les bas- fonds d’Athènes et de Thessalonique, puis dans les îles, lorsque les Grecs ont été chassés de la Turquie par Atatürk. Il n’y a jamais de colère dans cette musique, plutôt de la révolte et de la mélancolie comme dans toutes les musiques que j’aime. C’est une musique de mal aimés, mais de gens fiers d’être ce qu’ils sont. Une musique subversive. Dans le Rebetiko, les chants ont des paroles qui guérissent", relate le cinéaste.
Tony Gatlif explique ce que représente la musique Rebetiko et pourquoi il est très touché par elle :
"Ces chansons parlent d’exil : le départ des Grecs d’Izmir, leur fuite à travers les mers en barques… Chez moi, tout part toujours de la musique et de l’exil. Enfant, j’ai vu les pieds-noirs quitter l’Algérie au début des années soixante. Je les revoie en larmes assis sur leurs valises derrière les grilles du port d’Alger en attendant de prendre des bateaux pour la métropole, j’étais parmi eux. Je revois les boat people vietnamiens, vingt ans plus tard, avec leurs bateaux renversés, si proches du sort des migrants actuels dont les embarcations se fracassent à Lesbos. J’ai vu tant de peuples condamnés à l’exil qu’avec ce film, je voulais parler de tous les migrants, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui. C’est le Rebetiko et l’envie de filmer une jeune femme libre qui m’ont donné l’énergie de me lancer dans ce projet", confie le metteur en scène.
Tony Gatlif explique comment il a trouvé sa comédienne principale, Daphné Patakia :
"J’ai cherché très longtemps l’actrice qui allait jouer Djam. Six mois avant le tournage, je ne l’avais toujours pas trouvée. Elle ne devait pas être forcément belle mais devait impérativement parler grec et français. C’est mon assistante en Grèce qui m’a parlé de Daphné. Grecque par ses deux parents, élevée en Belgique elle parle parfaitement le français. Dès je l’ai rencontrée, les scènes du film ont commencé à prendre corps à travers elle. Je sentais qu’elle irait au bout, à fond. Daphné est née en Belgique et n’a jamais perdu sa culture de vue. Elle sait ce qu’est l’exil."
Daphné Patakia, incarne Djam. Tony Gatlif revient sur la performance de la jeune actrice belge :
"Je lui ai demandé d’apprendre à chanter, à jouer de la musique et à danser la danse orientale. C’est elle qui chante. Ce n’est jamais du play-back. Comme la plupart des Grecs, Daphné est très cultivée musicalement. Elle connaissait déjà par coeur les chansons rebetiko mais j’ai été frappé par sa facilité à apprendre et par le travail qu’elle a fourni. Dès notre première rencontre, je lui ai demandé si elle savait chanter et si elle acceptait d’apprendre à danser la danse du ventre. Et je lui ai confié un baglama, l’instrument de musique qu’on utilise pour le rebetiko en lui demandant d’apprendre à en jouer. Tout ce
qu’elle fait dans le film, elle l’a travaillé", précise le réalisateur.
C'est la première fois que Tony Gatlif travaille avec l'acteur chevronné Simon Abkarian :
"Pour interpréter Kakourgos, l’oncle de Djam, je voulais un acteur qui porte le voyage sur son visage. Même si l’on sait que Simon est arménien, on ne sait pas exactement d’où il vient, il véhicule l’exil. C’est un copain de longue date et je savais que Simon était un véritable aficionado de la musique Rebetiko. Lorsque je lui ai demandé de faire la scène où il parle de la mère de Djam, exilée et morte à Paris, Simon m’a touché par sa sincérité et son émotion. Il a dû surement aller les chercher sur sa route d’Arménie, du Liban et d’ailleurs. C’est un acteur du coeur et du geste."
Entre Grèce et Turquie, les 2 personnages principaux, Djam et Avril, croisent la route de migrants. Tony Gatlif s'exprime à ce sujet :
"J’étais conscient de mettre les filles dans les pas des migrants qui marchent d’Istanbul jusqu’à Edirne puis doivent traverser la rivière Ardas - une rivière très profonde, large d’entre vingt et trente mètres qui trace la frontière - pour atteindre Kastanies en Grèce. Les migrants y sont poussés de nuit par les passeurs dans de petites barques pneumatiques pour atteindre l’autre rive. Une fois de l’autre côté, ils se dirigent vers la gare de Didimotichio. Tous les migrants transitent par cette gare et j’étais certain d’y trouver des signes de leur passage quand nous y arriverions.
En m’y rendant avec mes acteurs, le jour du tournage, je trouve des bûches à moitié consumées et je comprends que les migrants ont fait du thé : des boites de conserves qu’ils ont utilisé comme casseroles et des sachets lyophilisés en témoignent. Ils ont pris les vieilles traverses des rails pour construire un foyer. Ils se sont ensuite servis du charbon de bois pour écrire sur les murs. Là, un homme a marqué : «Libre venu de Shâm, il coule du sang à Alep et à Idlib.» Qu’il évoque Shâm- le territoire sacré des musulmans- prouve qu’il a choisi d’émigrer. Ce sont ces traces que je voulais filmer pour évoquer l’exode des Syriens pour témoigner de leur passage. C’est cette image de l’exil que je veux retenir."