Dès l’ouverture de ce film adapté du roman éponyme de Chantal Thomas, on en a le pressentiment, ce sont les ailes sombres de la mort qui s’étendent au-dessus des cours de France et d’Espagne. Et c’est elle qui, en quelque sorte, mène la danse. Les servantes endormies près du lit où repose le tout jeune Louis XV semblent mortes et, lorsqu’elles s’éveillent, c’est comme si elles reprenaient vie afin de chasser les intrus qui se présentent, en l’occurrence des médecins que l’une d’elles ne se gêne pas de traiter non seulement de charlatans mais de semeurs de mort : leur soi-disant thérapie a déjà provoqué le décès de plus d’un à la cour et il n’est pas question qu’ils examinent le futur roi de France, trop jeune pour régner encore, au risque de le tuer, lui aussi. Lorsque celui-ci, un peu plus tard, entre au château de Versailles, que réintègre la cour, c’est, dans un premier temps, pour y errer comme dans une vaste nécropole sur les murs de laquelle sont accrochés les portraits d’illustres défunts. La mort est partout, elle obsède Louis XV, malgré son jeune âge. Et la barque conduisant la fille du Régent sur l’île où a lieu l’échange des princesses fait songer à l’embarcation de Charon emportant les morts sur le fleuve Styx. Quant à la cour d’Espagne, elle semble gagnée elle aussi par la mort, tant elle est comme figée dans les piétés et les dévotions imposées par le roi Philippe V, un roi neurasthénique hanté par les guerres qu’il avait ordonnées.
C’est dans cette ambiance funèbre qu’a lieu l’échange des princesses. L’idée vient du Régent Philippe d’Orléans pour qui celles-ci, femme ou même petite fille, ne sont que monnaie d’échange pour sceller la paix : la petite Anna Maria Victoria, âgée d’à peine 4 ans, doit quitter la cour d’Espagne afin d’épouser Louis XV tandis que la propre fille du Régent, Louise Elisabeth, est sommée de franchir les Pyrénées afin de convoler avec le futur roi Don Luis. Ces effarantes tractations ne s’embarrassent pas des personnes : l’une est une fillette qui joue à la poupée, l’autre une adolescente en révolte qui n’a guère l’intention de se conformer aux usages des grands d’Espagne. Celle-ci est sans nul doute l’un des personnages les plus intéressants du film. Quand, à son arrivée sur le sol espagnol, on la questionne sur ses goûts en matière de divertissements, elle stupéfie par ses réponses négatives. « Que voulez-vous faire ? lui demande-t-on. À quoi voulez-vous occuper votre temps ? » « À rien ! répond-elle. Je ne veux rien faire ! ».
Car, bien sûr, comme l’a si bien écrit Blaise Pascal dans une de ses plus fameuses pensées, pour ne pas penser à sa finitude et à sa mort inéluctable, il faut tâcher de se divertir. Chasser, danser, broder, voire brûler les hérétiques (comme l’affirme, lors d’une scène, Philippe V d’Espagne), tout ce qui amuse les autres déplaît à Louise Elisabeth la révoltée.
Marc Dugain ne s’est pas contenté de filmer habilement les intrigues des cours de France et d’Espagne, il l’a fait en adoptant un véritable point de vue de cinéaste, imprimant sur le film la marque de la mort, ce qui ne supprime aucunement la beauté de l’oeuvre (la photo est superbe). Et c’est elle encore, la mort, qui, lorsqu’elle frappe certains des principaux protagonistes de cette histoire, change du tout au tout les destinées : il n’est pas question de demander leur avis aux princesses,
l’une connaîtra donc un sort plutôt enviable, tandis que l’autre sera purement et simplement sacrifiée !