Avec The Fabelmans, Steven Spielberg livre un récit initiatique situé dans l’Amérique des années 1950 inspiré de ses souvenirs d’enfance. Il y revient sur les origines de sa passion pour le cinéma : "La plupart de mes films font écho à des événements qui me sont arrivés au cours de mes années d’apprentissage. Dès qu’un cinéaste s’attaque à un projet, même s’il n’en a pas écrit le scénario, il parle forcément de lui d’une manière ou d’une autre, qu’il le veuille ou pas. C’est comme ça. Mais avec The Fabelmans, ce n’était pas seulement métaphorique car l’histoire s’inspire directement de mes souvenirs".
Le film transpose les faits sous forme de fiction, en condensant les chronologies, en modifiant certains détails et en prenant des libertés. Spielberg a donné un nouveau nom au personnage qui le représentait – Sammy – mais aussi à ceux de sa mère – Mitzi –, de son père – Burt –, et de ses sœurs – Reggie, Natalie, Lisa.
The Fabelmans est un projet auquel Steven Spielberg songe depuis longtemps. Cependant, il n’a pas envisagé de s’y atteler sérieusement avant de nouer une forte complicité avec Tony Kushner, dramaturge et scénariste lauréat d'un prix Pulitzer, d'un Tony, d'un Emmy et nommé à plusieurs reprises aux Oscars. Les deux hommes ont collaboré pour la première fois en 2005 sur Munich et c'est d'ailleurs sur ce tournage que Kushner a demandé à Spielberg à quel moment il avait décidé de devenir réalisateur. Il ne le savait pas mais Kushner venait de poser une question profondément intime, dont la réponse allait servir de fondement à The Fabelmans. Les deux hommes ont entrepris son développement en parallèle de leurs projets communs, profitant des temps morts sur les tournages. Sur Lincoln, leurs conversations ont même abouti à un traitement pour un projet différent qu'ils ont décidé d'écarter, inspiré d’événements s’étant produits après ceux relatés dans The Fabelmans. La préparation ensuite de West Side Story, qui exigeait des acteurs d'intenses répétitions pour les chorégraphies, a laissé le temps au duo de prolonger son travail.
Qui plus est, après West Side Story, le réalisateur a ressenti une forme d’urgence à finaliser le scénario : son père, Arnold Spielberg, dont l’état de santé se dégradait depuis plusieurs mois, est décédé en août 2020. (Sa mère, Leah Adler, avait disparu quatre ans plus tôt). Puis la pandémie est arrivée : "Tandis que la situation sanitaire empirait, je me demandais ce que je souhaiterais laisser derrière moi et à quelle problématique centrale je voulais absolument m’attaquer". Grâce à des rendez-vous à distance via Zoom, Spielberg a confié d’autres souvenirs à Kushner qui, lui, prenait des notes. Après une première version du scénario en septembre 2020, Kushner et Spielberg ont entamé un nouveau travail d’écriture à deux, à partir du 2 octobre, en travaillant trois jours par semaine, au rythme de quatre heures par jour.
C’est Tony Kushner qui a eu l’idée du nom de Fabelman. En réfléchissant à la traduction de Spielberg ("montagne de jeu") et à son propre rapport au scénario, Kushner a choisi un terme théâtral, "fabel", qui désigne le résumé d’une pièce, écrite par un dramaturge ou un metteur en scène, mettant en valeur l’interprétation du texte pour mieux le comprendre.
The Fabelmans est la quatrième collaboration entre Steven Spielberg et le scénariste Tony Kushner, après Munich, Lincoln et West Side Story. Le réalisateur confie : "Je n’aurais pas été capable de coécrire ce film sans quelqu’un que j’aime, admire et respecte autant que Tony Kushner. La seule chose qui comptait, c’était que je puisse me livrer à quelqu’un, que je puisse tout déballer, pour ainsi dire, sans jamais ressentir de gêne ou de honte". Le dramaturge, qui compte Rencontres du troisième type parmi ses films préférés, était un grand admirateur de Spielberg dès leur première collaboration. D'ailleurs, dans l'une de ses pièces les plus célèbres, Angels in America, un protagoniste lance à un ange qui descend du ciel : "C’est très spielbergien, ça".
Si The Fabelmans explore des enjeux intimes, Steven Spielberg a tenu à ce que ce soit une fable universelle autour de la poursuite du rêve américain : "Je ne voulais pas raconter une histoire qui ne concerne que moi. Je voulais que l’histoire résonne de manière collective afin que les spectateurs puissent reconnaître leur propre famille dans le film. Car il s’agit d’une histoire familiale qui parle des parents, des fratries, du harcèlement, des bonnes et des mauvaises choses qui se passent quand on grandit dans une famille qui reste unie... jusqu’au moment où elle ne l’est plus. Et c’est une histoire qui parle du pardon et de l’importance du pardon".
Le tournage a provoqué des émotions inattendues chez Spielberg. Le réalisateur s'était promis de rester professionnel et de garder une certaine distance avec son sujet mais une fois sur le plateau, les choses se sont compliquées : "Le récit ne cessait de me ramener à de véritables souvenirs. C’était à la fois délirant et étrange de reconstituer des événements qui m’étaient vraiment arrivés et de les voir se dérouler sous mes yeux. Je n’avais jamais vécu une telle expérience". Parfois, le cinéaste oubliait même de dire "Coupez !", tant il était plongé dans la scène. Le premier jour du tournage, lors de la découverte de la reconstitution de la maison familiale, le réalisateur admet : "il a vraiment fallu que je prenne sur moi. J’ai arpenté les pièces, seul, avec une boule dans la gorge". Face à la découverte de Paul Dano et de Michelle Williams dans la peau de ses parents, il ajoute : "Je voyais ma mère et mon père. J’ai un peu perdu pied. Michelle et Paul ont été adorables : ils sont venus me voir, m’ont pris dans leurs bras et on s’est serrés très fort. C’était le début d’une très belle amitié".
La directrice de casting Cindy Tolan s’est attelée à dénicher les deux acteurs qui interprètent Sammy à des âges différents. Le débutant Mateo Zoryan Francis-DeFord campe le petit Sammy qui, à 6 ans, découvre sa vocation après avoir vu Sous le plus grand chapiteau du monde. Pour Gabriel LaBelle, Steven Spielberg plaisante : "Je recherchais quelqu’un de beaucoup plus beau que moi". Plus sérieusement, il ajoute : "J’ai choisi un garçon d’une curiosité insatiable car c’est une qualité qui m’a toujours caractérisé. Et en tant que personne, Gabe est extrêmement curieux". Lorsqu’il a passé sa première audition, LaBelle ne savait presque rien du rôle ou de ses liens avec Spielberg, si ce n’est que le personnage "était futé et se connaissait bien". Lors de sa deuxième audition, il s’est entretenu avec Spielberg via Zoom, et après que le réalisateur a rassuré le jeune acteur, LaBelle a entamé un monologue où Sammy explique à son père qu’il lui en veut d’avoir déménagé en Californie. "Steven m’a dit qu’il ne voulait pas que je l’imite", précise le comédien.
Après avoir confié le rôle à Gabriel LaBelle, Steven Spielberg a demandé au comédien de s’entretenir avec lui régulièrement, au téléphone, afin d’apprendre à mieux le connaître. LaBelle a accepté même si, d’après le réalisateur, le jeune acteur a fini par renverser la situation. "En réalité, c’était Gabriel qui me posait des questions – sur moi, sur ma mère, sur mon père, et sur les gens avec qui j’ai grandi. Il menait ses recherches, non pas à partir de vidéos ou de films que je pouvais lui donner, mais en obtenant le maximum d’informations de moi en direct. Il avait la main sur tous nos appels, et j’ai trouvé cela très intéressant parce que j’aime, moi aussi, tout contrôler. Et quand j’ai compris qu’il était comme moi à cet égard, je me suis dit qu’il allait très bien s’en sortir et peut-être même apprendre à me connaître mieux que je ne me connais moi-même".
Pour mieux se préparer au rôle, LaBelle, qui a dû porter des lentilles bleu-vert pour correspondre à la couleur des yeux du réalisateur, a souhaité s’initier au maniement des caméras Super 8 que Spielberg utilisait quand il était adolescent, au fonctionnement d’une table de montage et à l’emploi d’un projecteur de films Super 8. Il confie que l’apprentissage a été éprouvant, mais que la prise de conscience de ces difficultés – et la fierté de les avoir surmontées – était fondamentale pour se glisser dans la peau du personnage.
À travers le personnage de Mitzi, The Fabelmans dresse le portrait d'une mère qui, comme tant de femmes de sa génération, a dû tirer un trait sur sa carrière, ses ambitions et ses aspirations pour correspondre aux attentes et aux normes de la société et pour s’occuper des autres. Il y a une séquence en particulier, celle de la tornade, qui est un hommage particulier de Spielberg à sa mère et à sa vision du monde : "Ma mère m’a toujours encouragé – métaphoriquement – à chasser les tornades toute ma vie".
Le scénariste Tony Kushner s'est également nourri de sa propre mère Sylvia Kushner, joueuse de basson professionnelle, qui a fait des enregistrements avec Stravinsky et s’est produite avec le New York City Opera. Elle a mis fin à sa carrière de musicienne pour élever ses enfants lorsque la famille a quitté New York pour s’installer à Lake Charles, ville natale de son mari. Selon Kushner, Mitzi incarne les femmes de cette époque qui ont sacrifié leurs rêves et se sont efforcées de s’y résigner. "C’est une génération de femmes qui n’ont pas connu le féminisme. Elles savaient qu’un changement phénoménal allait se produire, mais il n'était pas encore arrivé et elles restaient prisonnières des injonctions d’un monde archaïque".
Steven Spielberg souhaitait tourner avec Michelle Williams depuis qu’il l’avait vue dans Blue Valentine, qui lui a valu sa deuxième nomination à l’Oscar, et qu’il songeait à elle depuis le début pour le rôle de Mitzi. "Il y avait quelque chose chez elle qui me rappelait ma mère, et pas seulement parce qu’elle aime avoir les cheveux courts, à la mode pixie, comme ma mère. Elle avait une allure qui me faisait penser à ma mère, c’est tout ce que je peux dire. Je me suis totalement fié à mon instinct en espérant qu’elle aime le scénario".
Pour cerner la mentalité de Burt Fabelman, Paul Dano a recherché sur eBay des "manuels de l’employé" de plusieurs grandes entreprises de l’époque pour mieux comprendre la philosophie de "l’employé modèle" propre à l’Amérique des années 50. Il a également étudié des photos, des films amateurs et des enregistrements audio d’Arnold Spielberg, le père du réalisateur. "Dans l’une des premières cassettes que j’ai écoutées, Arnold déclare – je le cite de mémoire – 'Pour moi, l’électronique était un style de vie'. C’est là que j’ai compris que cet homme était un ingénieur au plus profond de son être. J’ai donc aussitôt essayé de faire résonner en moi cette fibre scientifique qui lui appartenait". Pour y parvenir, l'acteur a acheté un kit de poste à galène sur Internet et l’a assemblé. Il a également visionné d’innombrables vidéos sur l’ingénierie sur YouTube, afin de maîtriser les rudiments.
Si Arnold Spielberg était plus imposant physiquement que Paul Dano, le réalisateur ne souhaitait pas que l’acteur prenne du poids. Cependant, celui-ci souhaitait reproduire les postures et l’énergie de son modèle dans son jeu. Il a ainsi demandé au chef-costumier Mark Bridges de lui confectionner une ceinture de lestage qu’il pouvait porter sous ses vêtements. Il s’en est servi pendant les premiers jours de tournage afin de bien cerner le centre de gravité du personnage, puis s’en est débarrassé.
Seth Rogen a été le premier surpris de se voir confier un rôle dans un film de Steven Spielberg : "Quand j’ai appris que Steven Spielberg voulait me parler, j’ai cru que je m’étais attiré des ennuis, comme lorsqu’on est convoqué dans le bureau du proviseur d’Hollywood". Le réalisateur a pensé immédiatement à lui pour le rôle de Bennie et n'a contacté personne d'autre : "Si Seth avait refusé, je n’aurais pas su quoi faire parce qu’il me rappelle énormément la personne dont s’inspire son personnage, que j’ai connue et aimée toutes ces années".
The Fabelmans est le 28ème film de Spielberg dont John Williams signe la musique – et leur ultime collaboration. En juin 2022, Williams a annoncé qu’il mettait un terme à sa carrière de compositeur de musiques de film avec le cinquième opus de la saga Indiana Jones. Williams a notamment écrit un thème mélodique qu’on entend vers la fin du film et qui se poursuit pendant le générique. "C’est l’un des morceaux les plus beaux qu’il ait jamais écrit pour l’un de mes films. C’était une manière merveilleuse pour Johnny d’achever sa carrière de compositeur. Mais ne vous étonnez pas si je vais le chercher pour le sortir de sa retraite pour mon prochain film", déclare le cinéaste.
Au fil des années, Steven Spielberg a évoqué les films qu’il a réalisés quand il était adolescent dans l’Arizona avec ses amis et ses proches, dont un western de 8 minutes intitulé The Last Gunfight, un film de guerre de 40 minutes intitulé Escape To Nowhere, et Firelight, un film de science-fiction de 2h15 autour des OVNI tourné pour 500 dollars qui a servi d’inspiration à Rencontres du troisième type.
Pour créer les films de Sammy Fabelman, et reconstituer ses tournages, il a d’abord fallu réunir le bon matériel. Steven Spielberg et Tony Kushner souhaitaient qu’on assiste aux progrès de Sammy à travers son utilisation de caméras 8 mm à tourelle – une Kodak Brownie, une Eumig et une Bolex – afin d’illustrer sa maîtrise croissante de la technique de prise de vue. Sammy franchit une étape en passant au 16 mm avec une Arriflex 165. Au départ, Spielberg souhaitait que Sammy monte ses films sur une machine Manette 8mm – le même outil dont le cinéaste se servait, enfant, et qui n’a pas été facile à trouver sur eBay. Mais le réalisateur a changé d'avis car l'écran était trop petit pour lui. L’équipe a fini par utiliser une table de montage Mansfield Fairfield 8mm Action Editor et par la moderniser pour l’adapter à ses besoins.
Pour les versions de Sammy de The Last Gunfight et Escape To Nowhere, Spielberg a tourné plusieurs images lui-même. Il reconnaît que la qualité des films de Sammy dans The Fabelmans est largement supérieure à celle de ses réalisations de l’époque : "J’aurais aimé pouvoir reproduire mes films 8mm avec le même côté amateur qui me caractérisait quand j’étais ado mais je n’ai pas pu résister à l’envie de rechercher un meilleur emplacement pour ma caméra, en 2021, au moment où j’ai tourné le film, que celui que j’avais trouvé en 1961. C’était plus fort que moi".