Le metteur en scène Emmanuel Gras évoque les origines du projet Makala :
"L’idée de ce film m’est venue avant de rencontrer Kabwita. J’avais déjà fait deux tournages en tant que chef opérateur dans cette région et j’avais été marqué par le fait de rencontrer partout des hommes et des femmes transportant à pied des chargements de toutes sortes. Même au milieu de la brousse, on était sûr de croiser quelqu’un transportant quelque chose. Mais c’est l’image de gens poussant des vélos surchargés de sacs de charbon qui m’a visuellement le plus frappé. Je me suis alors demandé d’où ils venaient, quelles distances ils parcouraient, qu’est-ce que cela leur rapportait... des questionnements très simples. Quel effort pour quel résultat ? Je me suis alors renseigné et j’ai écrit le projet.
J’ai rencontré Kabwita en faisant des repérages, une fois les premiers financements obtenus. J’étais accompagné d’un journaliste congolais, Gaston Mushid, très connu là-bas, qui a facilité tout ce que je souhaitais faire. Je suis allé dans les villages autour de Kolwezi pour rencontrer des gens qui faisaient du charbon. J’ai rencontré Kabwita à Walemba et j’ai su très vite que je voulais faire le film avec lui. J’aimais son attitude, un peu en retrait mais pas timide, son allure, et surtout son regard, plutôt doux mais très vif. En vrai, il y a des gens pour qui on a simplement tout de suite de la sympathie, vers qui on est attiré et c’était le cas avec lui. Un an après, je suis revenu, et nous avons commencé à filmer."
Makala a été tourné en République démocratique du Congo, dans la région du Katanga, au sud du pays. Plus précisément autour de la ville de Kolwezi. C’est une région assez sèche, qui comporte d’immenses mines à ciel ouvert. En swahili, Makala signifie charbon.
Le cinéaste Emmanuel Gras revendique l'influence de Gus Van Sant et notamment son film Gerry :
"Gerry, qui m’a laissé des impressions très fortes, est la preuve qu’on peut faire un film avec peu. Notamment par rapport à la marche. Il y a plusieurs plans en particulier, où les deux personnages ne parlent pas mais où on les entend marcher et respirer. Ces plans m’ont donné la sensation de ce que c’est que marcher. Quant à moi j’ai essayé de rendre la sensation de l’effort qui consiste à pousser pendant longtemps un vélo avec un chargement. J’aime aussi beaucoup le cinéma de Bela Tarr. Chez lui la caméra a une présence physique, elle se déplace beaucoup. Le premier plan du Cheval de Turin, qui est un long travelling où la caméra tourne autour d’une carriole tirée par un cheval, m’a beaucoup impressionné."
Emmanuel Gras n'a pas voulu occulter l'aspect religieux relatif à la personne de Kabwita et sa famille. Le christianisme tient en effet une place importante au Congo et pratiquement tout le monde est croyant dans ce pays :
"Chez Marx, il y a toute une réflexion sur le fait que la religion est l’expression du monde dans lequel on est. Vue ainsi, la religion est humaine. Elle m’intéresse à regarder parce que c’est une manière comme une autre qu’ont trouvée les êtres humains pour exprimer ce qu’ils ressentent vis-à-vis de leur condition. J’ai vu cela à l’oeuvre et cela m’a profondément touché alors que je suis athée", confie le metteur en scène.
Le cinéaste Emmanuel Gras analyse le rôle de la musique composée par Gaspar Claus dans Makala :
"Toute musique d’inspiration africaine, donc rythmée, aurait provoqué une redondance par rapport au rythme de la marche. Je souhaitais autre chose. J’en suis arrivé à l’idée du violoncelle, qui a une gamme de basses et d’aigus très larges. Dès que j’ai entendu les compositions de Gaspar Claus, j’ai été convaincu que c’était la musique qu’il fallait : Gaspar joue seul et travaille le violoncelle de telle sorte qu’on entend la matière de l’instrument, le crin sur l’archet, les frottements sur le bois…
Le travail a consisté à simplifier au maximum les mélodies, avec des répétitions de motifs, et peu de notes. Pour résonner avec l’image d’un homme seul qui marche. La musique ne devait pas non plus être surplombante par rapport à l’action, mais devait en déployer les potentialités. Par exemple, dans le plan où on voit trois hommes, dont Kabwita, poussant leur vélo, la musique permet de dilater le temps tout en créant une tension. Elle fait exister plus fortement les images et fait corps avec le film tout en le faisant « décoller » : on sort du constat de l’effort pour arriver à une sensation, plus existentielle, une solitude humaine."
Emmanuel Gras explique ses choix techniques concernant le tournage de Makala :
"Je disposais de deux caméras différentes. Une caméra à l’épaule, avec laquelle on obtient des mouvements assez bruts, donc sensément plus « expressifs ». Et un appareil photo assorti d’un petit système de stabilisation, proche d’un « rendu steadycam ». Au final, je constate que j’ai beaucoup utilisé le système stabilisé, qui est d’une certaine manière plus « esthétique », simplement parce que cela permet de faire des plans plus longs qu’on regarde sans être gêné par les cahots.
Du coup, je crois que l’on est plus attentif à ce que l’on voit. L’expressivité que je cherche ne passe pas nécessairement par un rendu plus directement expressif de la caméra, elle vient de l’attention que l’on porte aux choses. Et puis, comme Kabwita et ce qu’il accomplit me semblent beaux, j’avais envie de faire exister cette beauté."