La critique sévère de « Makala » parue dans Les Cahiers du Cinéma accuse un peu vite le cinéaste d’avoir opté pour un parti-pris esthétisant qui néglige totalement l’aspect politique d’un récit se fondant sur ce qu’on appelle aujourd’hui la « pénibilité » du travail. Dans une interview, Emmanuel Gras, le réalisateur répond indirectement à ces reproches en expliquant que, sans aucunement ignorer la dimension politique de ce qu’il montre, il a préféré se focaliser sur l’accomplissement du travail effectué plutôt que sur les souffrances qu’il génère. Ce choix, à mon avis, n’a rien de choquant. Quant à prétendre que le cinéaste se complaît tellement dans la beauté des images que sa « posture éthique en devient intenable », c’est une accusation qui me semble injustifiée. La caméra, bien au contraire, demeure presque constamment à hauteur de son personnage et le film reste, d’un bout à l’autre, fortement marqué par son ambition quasi documentaire.
« Makala » (qui veut dire charbon en swahili) peut se résumer facilement : il nous est montré comment Kabwita Kasongo, un homme du fin fond du Congo, choisit et abat un arbre, puis fabrique le four en terre avec lequel il produit son charbon de bois. Ce travail effectué, le plus dur reste à faire : le charbon doit être mis dans des sacs, eux-mêmes fixés sur un simple vélo, et être acheminé par ce moyen jusqu’à Kolwezi, à une cinquantaine de kilomètres de là, afin de le vendre. Tendu vers son projet de gagner l’argent qui lui permettra de procurer une vie meilleure à ses proches, le charbonnier, poussant son véhicule si surchargé qu’on se demande comment cela peut tenir, accomplit ce trajet comme un forçat. Emmanuel Gras met peut-être de côté la dimension politique du récit, mais il prend délibérément le parti de l’homme : il l’accompagne patiemment, n’ignorant rien de son obstination ni des dangers qui le menacent. Après les chemins rocailleux qu’il emprunte au début de son voyage, la route à laquelle il parvient (si l’on peut parler de route) n’est plus facile pour son vélo qu’en apparence car le risque d’être renversé par un des camions qui y roulent est énorme. Il s’y trouve même des hommes peu scrupuleux qui exigent leur rançon pour le laisser passer.
Pourtant, et c’est ce que s’attache à montrer le réalisateur, la détermination de l’homme reste entière. On devine qu’il puise sa force en ne perdant jamais de vue son objectif : le travail harassant qu’il accomplit, c’est pour le bien de ses proches, c’est pour gagner l’argent qui permettra de mieux vivre. Mais on perçoit aussi nettement autre chose, une autre source où puiser l’énergie nécessaire, et cette source a pour nom la prière. L’homme prie à deux reprises au cours du film : au début, après avoir abattu l’arbre avec lequel il fera son charbon, il demande à Dieu la force dont il a besoin et lui confie sa famille ; et à la fin, arrivé à Kolwezi, il entre dans un lieu de culte et fait une prière semblable, sans se laisser gagner par l’exaltation des autres chrétiens présents, mais en préférant une manière plus recueillie d’affirmer sa confiance en Dieu. Et si la prière de la fin du film ressemble à celle du début, tout en étant plus développée, c’est sans doute parce l’homme sait que son chemin de labeur est loin d’être fini et qu’il lui faudra encore bien du courage pour le parcourir, et un courage tel qu’il n’est pas possible d’en trouver suffisamment en ne comptant que sur soi-même.