Après la comédie musicale avec La Saison du diable (2018) et la science-fiction avec Halte (2019), Lav Diaz livre à présent une oeuvre qui appartient à l'univers du film noir, du polar. Le réalisateur confie : "Je me considère comme un raconteur d'histoires, comme un chroniqueur, voire un simple témoin. Ma démarche d'écriture s'apparente à celle d'un romancier ou d'un poète. J'aime la grande narration, les dialogues qui ressemblent à des discours, les personnages très fouillés."
"Ce goût transparaît très nettement dans mon travail. Pour choisir le chemin formel d'un film, je me laisse guider par une forme de fluidité. Quand les vagues se retirent appartient bel et bien au genre du polar politique. Les archétypes du film noir et du thriller y sont réunis : le personnage d'Hermes Papauran, enquêteur complexe et torturé, un système corrompu en toile de fond, le thème de la colère divine de la nature. Lorsque je m'attaque à un genre, je l'utilise comme un outil."
"Le désir de me tourner vers tel ou tel outil me vient naturellement, je ne m'impose rien. Cela dit, il est vrai que j'ai une connaissance approfondie et assez exhaustive de tous les genres littéraires et cinématographiques. C'est précieux."
Les vieux films noirs et les westerns spaghetti ont eu une énorme influence sur la façon dont Lav Diaz a conçu Quand les vagues se retirent. "Mais il n'existe pas de tradition du polar à proprement parler dans le cinéma philippin. Je ne vois aucun film philippin qui puisse relever de cette catégorie. Ce qui se fait beaucoup, ce sont des parodies de films hollywoodiens iconiques, comme James Bond par exemple", précise le metteur en scène.
Le contexte politique dans lequel se débat Hermes est bien réel : il s'agit de celui des meurtres perpétrés par l'administration de l'ancien président des Philippines, Rodrigo Duterte, à la tête du pays de 2016 à 2022. Lav Diaz explique :
"Des milliers de Philippins innocents ont été assassinés dans le cadre d'un programme intitulé "Opération Tokhang”, qui fut mené comme une véritable guerre des drogues. Les photos montrées dans la première moitié du film sont bien réelles, ce sont celles du photo-journaliste Raffy Lerma. Ses images représentent une immense inspiration pour le film, il a été un témoin direct de ces atrocités."
Le but ultime du cinéma de Lav Diaz est d'approcher au plus près de la vérité. Il a ainsi tourné les scènes qui se déroulent à l'école de police en décor réels, dans une école nationale de Police. Il se rappelle : "La plupart des figurants ici sont des étudiants en criminologie. Cet environnement ne m'était pas tout à fait inconnu car l'un de mes grands-pères travaillant dans la police. Et lorsque j'ai débuté dans le journalisme, le sujet des violences policières est le premier que j'ai eu à traiter."
"Au cours de cette enquête, j'avais rencontré un certain lieutenant Hermes Papauran, qui a donné son nom à l'un des personnages principaux. Le nom Hermes n'est d'ailleurs pas lié à la mythologie grecque. Papauran et Macabantay sont des noms malais. Les colons espagnols ont tenté de tous les éradiquer ; certains ont survécu à l'image de ces deux-là."
Quand les vagues se retirent a été tourné en 16 mm. Lav Diaz précise : "Ce n'était pas prévu. Le 16 mm est arrivé à la manière d'un visiteur surprise. Un jour, un ami réalisateur m'a dit qu'une caméra 16 traînait paresseusement sur une de ses tables de travail. Il m'a demandé l'air de rien si cela m'intéresserait de l'utiliser pour un prochain projet. Heureuse coïncidence puisque j'allais enfin entreprendre le tournage de Quand les vagues se retirent après l'avoir repoussé durant plus de cinq ans."
Lav Diaz travaille avec le comédien Ronnie Lazaro depuis ses débuts. "C'est un grand ami et il me connaît très bien pour avoir déjà joué dans Naked Under the Moon (1999), Evolution of a Filipino Family (2004) et les deux Livres d'Heremias (2006)", raconte le réalisateur.
En janvier 2020, le volcan Taal, au sud de Manille, est entré en éruption. Lav Diaz a voulu filmer sans tarder les zones dévastées mais cet élan a été interrompu en mars par le confinement : "En novembre 2020, alors que le Covid faisait rage, je suis parti en repérage à Sorsogon, dans la région de Bicol, au sud de l'île de Luçon. Durant deux mois, je me suis promené seul le long des rivages, des ravins, dans la montagne, sous la pluie et le long des fleuves."
"J'ai vécu avec des routiers, des tueurs solitaires, des poètes, des danseurs de zumba et des prostituées. La dernière semaine de décembre, j'ai engagé un batelier pour me conduire sur l'île de Catanduanes située non loin au nord. Mais il a plu énormément jusqu'aux premiers jours de 2021. Je n'avais jamais vu autant de pluie. L'employé de l'auberge de fortune où je logeais voyait déjà le déluge arriver. Le batelier, pris de peur, refusait de me conduire jusqu'à l'île."
"Sentant mon désespoir, l'aubergiste m'a demandé ce que je cherchais. “Des vagues, de grosses vagues”, lui ai-je dit. Il m'a indiqué un lieu à trente minutes de là. J'ai alpagué un vieux chauffeur de tuk-tuk pour m'y conduire. C'était ça. Je me suis jeté dans les vagues comme un enfant", se souvient le cinéaste.