Cédric Anger a toujours voulu faire un film sur le porno français des années soixante-dix/quatre-vingt, celui tourné en pellicule, ainsi que sur celles et ceux qui faisaient ces films. Selon le metteur en scène, il y avait une insouciance qui n’a rien à voir avec le porno d’aujourd’hui et avec le porno américain de la même époque, beaucoup plus industrialisé et professionnel. Il explique :
"Le cinéma pornographique français de ces années-là est inséparable de la libération des moeurs post-68. Il est fabriqué avant tout par des gens qui s’amusent, pour qui ces tournages sont des moments de vacances et de plaisir. Il faut bien comprendre qu’ils ne tournaient pas ces films par nécessité financière, mais parce qu’ils en avaient envie. D’ailleurs la plupart des actrices, acteurs et réalisateurs de cette époque sont plutôt des petits-bourgeois branchés, qui aiment faire la fête et ne se soucient pas trop du lendemain. Brigitte Lahaie par exemple était fille de banquier, elle a tourné par plaisir, pour s’affirmer et puis pour provoquer sa famille. La plupart de ces actrices vivaient leur métier de façon naturelle. Si certaines étaient payées au « black », la majorité avait droit aux congés spectacles et aux Assedic, comme les autres actrices. Les acteurs, pareil."
Avec L'Amour est une fête, Cédric Anger a fait le choix de ne pas jouer longtemps le film d’infiltrés dans le milieu du porno. L'enquête est ainsi presque un prétexte et le spectateur ne voit pas seulement une histoire avec une action qui monte et qui se développe, mais au contraire une sorte de balade où l'on passe d’un genre à un autre sans avertir. Le cinéaste confie :
"A partir du moment où le film essaie de faire sentir une sorte de liberté joyeuse d’une époque et d’une façon de faire du cinéma, je voulais que tous les éléments du film, le récit et la forme, racontent ça et se développent très librement. Raconter l’esprit libertin et libertaire de manière cadenassée et vissée, ça aurait été faux et hors sujet. D’abord je voulais prendre le contrepied des productions anglo-saxonnes sur le porno, qui obéissent toujours à un imaginaire puritain avec ascension et chute, comme si les acteurs de cette industrie devaient payer le prix d’en avoir fait. Je n’ai pas le sens du pêché et ma tendance va plutôt vers des morales clandestines autres, que vers la morale ordinaire."
"L'Amour est une fête" fait référence aux films tournés par ces réalisateurs de l'époque qui disaient qu'ils ne faisaient pas des films pornos, encore moins des films X, en raison de la censure. Ils parlaient au contraire de « films d’amour », une expression usuelle de l'époque. Cédric Anger précise : "Et tourner ces films d’amour était vraiment une fête, au contraire du porno d’aujourd’hui. Ils avaient parfois plus de rapports sexuels entre les prises que pendant, les assistants toquaient aux portes des chambres pour que les acteurs s’économisent ! Et régulièrement à la fin du tournage, l’équipe proposait de terminer la « fête » qu’est le film en partouze. Ce sont des moeurs différentes, une autre façon de vivre, qui est ce que découvrent les personnages de Gilles et Guillaume. Il n’y a pas à juger, c’est comme ça. Et puis ce n’est pas parce qu’on contredit la morale courante qu’on est sans morale."
Pour Cédric Anger, l'un des plus grands films français sur la liberté de moeurs est Jules et Jim. À son propos, François Truffaut parlait du « caractère scabreux des situations et de la pureté de l’ensemble ». Le réalisateur raconte : "J’espère qu’il y a un peu de ça, une émotion malgré la nature des situations. Et de la beauté là où on pense qu’il n’y a que de la vulgarité. Je voulais que plus le film avance, plus il baigne dans une ambiance familiale et douce. C’est ce qui me plaisait, faire un film subversif avec une douceur totale, sans agresser le public ni vouloir le choquer. Au contraire, en l’enveloppant de tendresse."
Au début du film, Franck et Serge tournent ce qu’on appelle des « loops », des films d’une bobine destinés aux cabines des peep-shows. A l'époque, des gens mettait une pièce dans une machine et avaient une scène porno d’une dizaine de minutes. Les loops étaient les plus petits budgets de ce genre de cinéma. Cédric Anger explique : "Et pour mes deux personnages c’est un moyen de filmer leurs stripteaseuses. C’est une pratique qui remonte à la naissance même du cinéma. Dans les bordels par exemple, pour faire patienter le client, on lui projetait des petits films pornographiques tournés avec les filles de l’établissement. Mais à la fin du film, Pachard tourne un « porno proustien », un sous-genre avec jeunes filles en ombrelles et robes 1900."
Cédric Anger retrouve Guillaume Canet après La Prochaine fois je viserai le coeur où ce dernier incarnait un gendarme/tueur en série. Gilles Lellouche et Canet tournent par ailleurs pour la huitième ensemble, après Nous finirons ensemble, Le Grand Bain, Rock'n'Roll, La French, Les Infidèles, Les Petits Mouchoirs, Narco, Ne le dis à personne et Mon idole.
La bande originale de L'Amour est une fête comprend des morceaux existants et le score composé par Grégoire Hetzel. Il s'agit de la quatrième collaboration entre Cédric Anger et le compositeur. Les deux hommes ont respecté l’époque (aucun morceau n’est postérieur à 1982) et ont choisi des titres de chanteurs italiens comme Morricone, Nicolai, Rota, Piero Piccioni, etc. Le cinéaste indique : "Ces personnages vivent en musique, évoluent dans des lieux où la musique est omniprésente. La musique du début des années quatre-vingt a un charme particulier, on est après le rock et le disco, et pas encore dans la variété type Top 50. C’est un mélange de sons populaires et sophistiqués, parfois un peu cheap mais qui a la vertu de ne pas se prendre trop au sérieux là encore. On a trouvé quelques perles comme les titres d’Alain Kan, de Sonia, de New Paradise…"
Cédric Anger a opté pour un format large. Le metteur en scène voulait que les personnages aient droit à un format auquel ils n’avaient pas accès à l’époque en les filmant comme s'ils étaient des reines et des rois : le cinémascope. "Un format plus ordinaire aurait eu un côté plus cru et on aurait moins vu la différence avec les films qu’ils tournent en format carré. On utilise souvent un format moins large pour les comédies, pour être plus près des acteurs, mais après tout les comédies italiennes des années soixante étaient en scope. Quand les acteurs sont bons, autant leur donner de l’espace. Et puis je voulais qu’on sente l’espace restreint du début du film, du peep show, et finir avec un espace ouvert, en pleine cambrousse", note-t-il.
Cédric Anger a fait le choix de situer L'Amour est une fête en 1982 car il s'agit vraiment de l’année où des groupes de la mondaine ont eu pour mission de mener la vie dure aux pornographes, de faire des descentes dans les peep-shows et clubs de strip. Le réalisateur développe : "Des établissements comme ça, il y en avait partout, c’est difficile de se rendre compte aujourd’hui. Ce monde-là a disparu. En 1982, le ministère de la Culture a commencé à appliquer la loi X à la lettre, avec une rigueur policière. Ensuite, 1982 est une des dernières années du cinéma porno tourné en pellicule, dont je crois le dernier film est de début 1984. Dorcel commence à tourner en vidéo en 1979, début quatre-vingt ça se généralise peu à peu. Il faut dire que là où un film coûtait deux à trois cent mille francs, tout d’un coup il n’en coûte plus que dix mille. Mais en 1982, il y a encore pas mal de monde qui tourne en pellicule et qui veut « faire cinéma ». À partir de 1983-1984, la consommation changera également avec l’avènement du magnétoscope et le porno mensuel de Canal+ en 1985. Enfin, 1982, c’est surtout la dernière année de légèreté post-68 en ce qui concerne la sexualité. En 1983, le sida fait les gros titres. Et tout change. C’est pour cela aussi qu’on termine sur un coucher de soleil. Ce n’est pas seulement l’âge d’or du porno qui se termine, c’est une forme d’insouciance."