« J’étais un étranger et tu m’as accueilli ». Cette phrase, Abbas (Eriq Ebouaney) l’a écrite dans la lettre qu’il a laissée à Carole (Sandrine Bonnaire), la femme qu’il a rencontrée en France et qui, en effet, lui a ouvert non seulement sa porte mais son cœur.
Abbas, tout comme son frère Etienne (Bibi Tanga), ont dû fuir leur pays, la République centrafricaine en proie à la guerre civile. Tous deux sont des lettrés, ils aiment la littérature (parmi leurs livres, on aperçoit, entre autres, « Les Essais » de Montaigne et « Ulysse » de James Joyce). À Bangui, le premier enseignait la littérature et le second la philosophie. Mais en France, le pays où ils ont trouvé un refuge précaire, que faire sinon exercer un travail de survie ? Abbas doit se contenter de travailler sur un marché (là même où il rencontre Carole) et Etienne ne trouve rien de mieux que de faire le vigile.
Tous deux tentent comme ils peuvent de reconstruire leur vie. Abbas donne, dans un premier temps, l’impression de s’en sortir, lui avec ses deux enfants qu’il a réussi à scolariser. Mais ses nuits sont hantées de cauchemars, il voit et revoit sa femme morte au cours de leur fuite.
Quant à ses enfants, il n’a rien à leur faire manger que sempiternellement des omelettes. La vie devient de plus en plus difficile au point qu’il faut se résoudre à quitter un bel appartement pour se contenter d’un studio loué par un marchand de sommeil, un studio qui semble un palais si on le compare à la misérable cabane construite sur un terrain vague que Etienne a élu pour domicile. Mais un studio qui n’est peut-être bien, lui aussi, qu’un asile très précaire.
La seule planche de salut pour pouvoir vraiment reconstruire sa vie, ce serait d’obtenir le droit d’asile. Mais dans la France d’aujourd’hui, ce n’est pas quelque chose qu’on obtient si facilement. Y a-t-il un espoir de régularisation ou faudra-t-il vivre encore et encore en se cachant et en prenant la fuite ? Même le secours de Carole, l’amie, l’hôtesse bienveillante, risque de ne pas suffire à éviter les drames.
En filmant cette histoire ô combien d’actualité, le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun n’a nullement cherché à nous faire pleurer à bon compte. Le but n’est pas de faire verser des larmes de crocodile, mais de changer les regards. Bien sûr qu’il y a des drames et de l’émotion dans ce film, mais il y a aussi de la douceur et de la tendresse, et il y a aussi et surtout de la dignité. Quand Abbas et ses deux enfants se mettent autour d’une table pour fêter l’anniversaire de Carole, aussi pauvres soient-ils, chacun d’eux offre son cadeau. Une scène comme celle-là, d’apparence toute simple, en dit long sur la dignité de ces personnes.