Née à Rome en 1977, Laura Bispuri est une réalisatrice et scénariste. Elle est diplomée en cinéma à l’université de Rome La Sapienza. Avec son court métrage Passing Time, elle a remporté le Prix du Meilleur court métrage en 2010 aux David di Donatello. Avec son court métrage suivant Biondina, elle a été désignée en 2011 comme « Talent émergent de l’année » par le syndicat de la critique italienne. Vierge sous Serment est son premier long-métrage. En 2015, le film a été sélectionné au Festival de Berlin en compétition officielle, et a été présenté dans plus de 80 festivals où il a reçu de nombreux prix, notamment : le prix Nora Ephron au Festival de Tribeca, le Golden Gate New Directors Prize à San Francisco, le prix Firebird Award à Hong Kong, le Fipresci à Cracovie et un prix d’excellence en matière d’éducation. Ma fille, présenté en compétition au Festival de Berlin, est son deuxième long métrage.
Avec Ma fille, Laura Bispuri a voulu soulever des questions sur la maternité : peut-on grandir autrement qu’avec la figure classique de la mère, avec deux figures maternelles au lieu d’une ? Est-ce que le lien physique avec la personne qui vous a donné naissance est plus important que le lien culturel avec la personne qui vous a vu grandir ? "Le point de départ du projet est l’histoire vraie d’une jeune femme d’une vingtaine d’années qui a décidé d’être adoptée par une autre femme, alors que sa mère biologique était encore en vie. Il se trouve aussi que pendant l’écriture, on m’a parlé du Jugement de Salomon dans la Bible : le roi Salomon devait décider laquelle des deux femmes était la vraie mère d’un enfant. C’est bien là un questionnement très ancien. Mais j’ai d’abord voulu m’interroger sur l’un des problèmes essentiels de notre époque : le schéma parental traditionnel. Pendant des siècles, les femmes ont été guidées par un idéal de perfection du rôle de mère, peut-être plus encore en Italie qu’ailleurs. Je pense que remettre en question cette notion et redonner de la valeur à l’imperfection, à la fragilité inhérente à ce rôle de mère, est opportun et important. Ma fille prend comme point de départ le sentiment maternel dans ce qu’il a de plus archaïque et viscéral, puis tend à s’ouvrir à des problématiques plus contemporaines, en offrant une vision dans laquelle on accepte que les deux femmes soient toutes deux les mères de Vittoria. J’ai essayé de trouver un équilibre entre les deux femmes, qui sont différentes mais égales dans leur rapport de mère à Vittoria."
Laura Bispuri a toujours voulu parler des femmes. "C’est comme une mission que je me serais toujours donnée dans mon travail, un geste politique. Dans l’histoire du cinéma, les femmes ont beaucoup été marginalisées, elles sont les épouses qui attendent patiemment que leurs maris rentrent à la maison et qu’on a souvent dépeintes de façon trop superficielle. Il est grand temps de changer cette image. Si certains estiment que mon film ne donne pas suffisamment de place à l’homme, j’en serai d’une certaine manière contente, car c’est bien ainsi que le film a été pensé, quand bien même il y a un personnage masculin merveilleux, Umberto, le personnage le plus positif sans doute", analyse la cinéaste.
Laura Bispuri a choisi de situer Ma fille en Sardaigne parce que l’île a de nombreuses facettes : son caractère lyrique, fantastique et magique coexiste avec sa nature brute, concrète. "Deux versants que je recherche aussi à faire cohabiter dans ma façon de tourner. J’ai aussi un lien particulier avec la Sardaigne, j’y passais des vacances quand j’étais enfant, puis quand j’y suis retournée avec ma propre fille, le voyage m’a fait forte impression. J’ai choisi d’y tourner ce récit en particulier à cause d’abord de son paysage éclatant, qui évoque assez bien la force maternelle. Attention, je suis pétrifiée à l’idée que les paysages soient trop pittoresques, je veux au contraire qu’ils deviennent assez familiers pour parvenir à les oublier. Puis, quand je construis les personnages, il faut qu’ils soient eux aussi comme conscients de l’importance du paysage, qu’ils fassent corps avec lui avant de l’oublier, et c’est ensuite que je concentre mon attention sur les comédiennes et leur rôle. Je voulais aussi que le film montre un espace où la tradition coexiste avec la modernité. Ce mélange constant d’éléments anciens et contemporains, que j’ai observé lors de mes repérages et dans mes recherches, m’a fait penser à un territoire en quête d’une nouvelle identité, qui reflète bien le parcours des trois protagonistes du film, en particulier celui de Vittoria, une fille qui découvre et essaye de comprendre qui elle est et qui elle voudrait devenir", explique la réalisatrice.
Laura Bispuri avait déjà établi une relation forte avec Alba Rohrwacher en travaillant avec elle sur son film précédent, Vierge sous serment, et c’est pour elle qu'elle a écrit le personnage d’Angelica. "C’est un rôle en complète opposition avec celui qu’elle a joué dans mon premier film, car Angelica est un personnage chaleureux, exalté, explosif même. Quant au personnage incarné par Valeria Golino, nous avons passé beaucoup de temps ensemble à le construire, en recherchant en particulier des correspondances avec le contexte spécifique de la Sardaigne. Peu à peu, j’ai vu le personnage de Tina grandir en elle. Sara Casu, qui joue Vittoria, vit réellement en Sardaigne. Cette jeune fille m’a enchantée avec sa voix et ses couleurs, qui ont si peu à voir avec le folklore traditionnel sarde. Sara a déjà un talent incroyable et travailler avec elle m’a permis de vivre les scènes avec une intensité et un émerveillement permanents", confie la cinéaste.