Après trois films de propagande dans le cadre de l’effort de guerre auquel Fritz Lang se devait de participer ayant fui l’Allemagne d’Hitler pour rejoindre Hollywood, le réalisateur peut enfin retrouver des sujets moins contraints où son sens du détail et de la mise en relief des pulsions qui font avancer les hommes pourra pleinement s’exprimer. Il s’embarque avec « La femme au portrait »(1943) pour un diptyque qui avec « La rue rouge » (1944), réunira un trio d’acteurs composé d’Edward G. Robinson, Joan Bennett et Dan Duryea, incarnant chacun les personnages archétypaux du film noir. Le roman de J.H. Wallis, publié en 1942, est adapté par l’écrivain, scénariste, réalisateur et producteur, Nunnally Johnson. Fritz Lang tout en virtuosité confronte l’image désormais rassurante de Robinson à la sexualité vénéneuse de Joan Bennett. L’intrigue classique brodant autour du sage professeur ou bureaucrate sortant de sa réserve pour se frotter à une sexualité charnelle qui relève plus du fantasme que d’une réelle envie de passer à l’acte a été depuis déclinée dans tous les genres cinématographiques. Le drame pathétique chez Josef von Sternberg avec « L’ange bleu » (1930) ou encore la comédie débridée avec Billy Wilder dans « Sept ans de réflexion » (1955). Ici, Lang utilise les codes du film noir pour emmener son professeur d’université, rendu à une liberté provisoire (sa femme et ses deux enfants sont en vacances), vers l’interdit qui tourne mal. Le portrait d’une mystérieuse femme (Joan Bennett) exposé juste à côté de l’entrée du club huppé où le professeur passe ses soirées en compagnie de ses deux amis, médecin (Edmond Breon) et procureur (Raymond Massey) constituera
le point de départ du long chemin de croix qui va suivre pour l’expert en criminologie qu’incarne Robinson
. Les blagues qui s’enchaînent tout au long du repas sur la matérialisation possible de la jeune femme du portrait qui enchanterait le célibat provisoire du professeur, agrémenté par une solide consommation de Brandy, conduisent tout droit ce dernier dans les rets de celle qui a posé pour le tableau après qu’elle lui soit apparue dans le reflet de la vitrine où est exposé le tableau, une fois une fois la soirée au club enfin terminée. Le gentil professeur sort alors de sa zone de confort pour s’enfoncer dans une affaire criminelle où sa science de la criminologie ne lui sera pas d’un grand secours. Avec dextérité et malice, Fritz Lang se joue de son anti-héros qui à peine sorti du droit chemin qui a toujours été le sien doit ramer à contre-courant pour tenter d’y remettre les pieds au plus vite. Les maladresses commises avec une forme de placidité incompréhensible emmènent très loin Edward G. Robinson des rôles de gangsters de ses débuts.
On se dit que toute cette horlogerie bancale est trop bien orchestrée pour résister à une analyse sérieuse de la situation. Fritz Lang, goguenard, le savait bien qui réserve une conclusion absolument virtuose que d’aucuns jugeront facile mais qui était en réalité indispensable pour laisser le spectateur sortir, amusé, d’un labyrinthe un peu trop habilement tortueux
. Fritz Lang qui dirige formidablement ses acteurs, les réutilisera on l’a dit, tous les trois juste derrière, pour cette fois-ci les confronter à une version plus réaliste de « La femme au portrait » via un remake sophistiqué de « La chienne » de Jean Renoir (1931) où Michel Simon brillait de mille feux. En attendant de voir « La rue rouge », délectez-vous de ce film noir "pour de rire" qui laisse entrevoir l’une des faces les moins connues de la personnalité du grand Fritz Lang.