Le metteur en scène Xavier Giannoli revient sur la genèse du projet L'Apparition :
"J’avais depuis longtemps le désir de savoir où j’en étais par rapport à la question religieuse, à la foi... Je crois que ce questionnement traverse plusieurs de mes films, à commencer par À l’Origine où il était question de promesses et de mensonges, d’autoroute qui n’allait nulle part et à qui tout le monde voulait croire. J’ai eu besoin de me recentrer sur la part la plus intime de ces sujets et un jour j’ai lu un article de presse sur les mystérieuses « enquêtes canoniques ».
Je savais que l’Eglise réunissait parfois des commissions d’enquête sur des faits supposés surnaturels comme des guérisons miraculeuses ou des apparitions. Ces commissions d’enquêtes canoniques ne sont pas forcément constituées de religieux. On peut y rencontrer des médecins ou des historiens auxquels un évêque demande de rassembler des témoignages et des faits précis afin de pouvoir décider s’il s’agit d’une imposture… ou pas. Ce point de vue d’une enquête documentaire sans complaisance sur des preuves supposées de l’existence de Dieu correspondait à ce que je ressentais alors dans ma vie, au doute essentiel qui était devenu le mien. Ce doute est devenu une force de vie et de cinéma."
Le réalisateur Xavier Giannoli souhaitait faire un travail de recherches sans a priori ni dogmatisme, à hauteur d’homme, pas comme un philosophe ou un théologien mais comme un cinéaste habité par un désir de vérité humaine.
"C’est comme cela que j’ai eu l’idée de ce personnage de journaliste qui part enquêter sur un fait a priori incroyable : une apparition de la Vierge Marie, aujourd’hui, en France. Ni un bigot ou un athée cynique mais juste un homme libre qui voudrait démêler le vrai du faux. Et j’ai aimé découvrir que cette enquête allait m’échapper et se déployer autrement, ailleurs."
Xavier Giannoli avait besoin de se réapproprier ces questions sur la Foi loin des clichés de représentations médiatiques, des débats sur le choc des civilisations, le retour du religieux et le dévoiement intégriste ou encore l’Eglise et ses scandales. Il s'agissait d’abord pour le cinéaste d’une quête intime et secrète.
"Chacun y répond comme il veut, comme il peut, ou en restant comme moi dans un trouble. On ne répondra pas au sens de nos vies avec des algorithmes, des smartphones, des promesses économiques ou des illusions politiques. J’ai voulu que le voyage de mon personnage se termine dans le désert, un désert des origines, dans le dénuement et la modestie. Il a voulu percer un mystère et finalement semble s’y refuser, peut-être parce qu’il a découvert la beauté de ce questionnement. La façon dont Vincent Lindon met un genou à terre pour déposer la petite icône brulée sur les marches du monastère, comme on déposait les enfants abandonnés, est sans doute un des plus beaux gestes que j’ai filmé dans ma vie. Vincent a alors une humilité et une dignité qui me touchent, comme s’il reconnaissait l’existence d’un grand mystère, tout en en restant sur le seuil."
Xavier Giannoli ne souhaitait pas s'aventurer dans ce projet avec le désir de faire croire aux apparitions. En ce sens, un livre a été une influence : « Faussaires de Dieu » (Joachim Bouflet, éditions Presses de la Renaissance), une enquête sur ces imposteurs qui sont prêts à tout pour faire croire qu’ils ont vu un signe de Dieu. "Mais je voulais aussi croire à la profonde sincérité de cette jeune fille, malgré le doute légitime que l’on peut avoir sur la vérité de ce qu’elle raconte avoir vu. Je trouve ce don de soi émouvant et poétique et j’ai un profond respect pour cela. L’historien Yves Chiron a également écrit des livres sur ce sujet qui m’ont beaucoup aidé", révèle le cinéaste.
Le metteur en scène a également eu de nombreuses discussions avec des prêtres : "Un jour, j’ai demandé à l’un d’eux : « Est-ce que quand vous allez mourir, vous aurez moins peur parce que vous croyez à la vie éternelle ? » Il a eu un silence et m’a répondu « Au moment de fermer les yeux, je me dirai d’abord : « J’espère que je ne me suis pas trompé… ». Cela m’avait bouleversé. Je me suis alors souvenu du très beau « Je ne sais pas. » qui finit Le Royaume d’Emmanuel Carrère. Car moi non plus : je ne sais pas.
Alors je cherche et j’ai besoin du cinéma pour cela… ou alors j’ai besoin de ce sujet pour chercher quelque chose du cinéma. Je ne sais pas."
Dans le cadre de ses recherches, Xavier Giannoli a d'abord établi une liste de faits apparitionnaires « authentifiés » par le Vatican. "Tout le monde connaît Bernadette Soubirou mais il y en a des dizaines d’autres, avant et après elle. La dernière apparition reconnue canoniquement comme surnaturelle date des années 80 en Argentine, à San Nicolas. Et on pourrait parler de Garabandal, de Medjugorge ou de Fatima qui ont fait l’objet de nombreuses enquêtes contradictoires plus ou moins sérieuses, avec un large éventail de jugements et de positions… J’avais trouvé la photo d’une petite voyante avec un casque d’électro-encéphalogramme sur la tête et les mains jointes, en prière pendant qu’on analysait les ondes électriques de son cerveau, pour évaluer sa sincérité. Il y avait une poésie étrange dans cette photo, comme si la technologie était capable de sonder les mystères de l’âme. J’étais avant tout attiré par la dimension factuelle de l’enquête", confie le metteur en scène.
Xavier Giannoli a tourné une partie de L'Apparition dans le plus grand camp de réfugiés du Moyen-Orient, à la frontière syrienne : "Ce drame historique interroge ce que nous sommes, nos valeurs, notre histoire, et donc ce que nous sommes prêts à faire pour leur tendre la main. Quand Anna (Galatea Bellugi) regarde le ciel et se perd, Mériem (Alicia Hava) regarde la terre et se trouve. Elle aussi croit au don de soi à ceux qui souffrent mais désormais loin de l’Eglise et du dogme. C’est le respect du sacré de la vie, au-delà de toute problématique religieuse", précise le cinéaste.
Xavier Giannoli a mené une enquête de terrain en allant à la rencontre de ces personnes qui ont participé à des enquêtes canoniques : "Ma première surprise a été de rencontrer des hommes et des femmes qui n’avaient rien d’illuminés prêts à croire tout et n’importe quoi. Au contraire, ils traquent les impostures et les faussaires, impliquent des médecins et des historiens dans leurs recherches. Mais le problème, c’est qu’ils sont tenus à un strict devoir de secret." Le cinéaste a néanmoins réussi à tisser des liens avec certains d’entre eux et a même eu accès à de réels interrogatoires de « voyants » prétendant avoir eu une apparition.
"C’était tout à fait fascinant car très simple et concret, au fond assez proche d’une enquête journalistique ou policière. Une fois l’enquête terminée, la commission remet ses conclusions à un évêque qui seul pourra demander au Vatican de reconnaître un fait surnaturel. C’est un processus long et rigoureux, très surveillé, avec tout un protocole qui encadre la rectitude des investigations pour bannir les supercheries. Et il ne faut pas imaginer que l’Eglise espère et « encourage » la reconnaissance des faits apparitionnaires. Au contraire, je pense que cela les encombre… La foi n’a pas besoin de preuves ou ce n’est plus la foi."
Xavier Giannoli a écrit le rôle de Jacques pour Vincent Lindon avec qui il voulait travailler depuis longtemps.
"On se connaissait bien et je voulais filmer de lui quelque chose d’inédit. Cela a été tout un travail de lui faire accepter de filmer son regard ou plutôt de laisser assez de temps à son regard pour révéler une intériorité plus secrète. Vincent est toujours en mouvement, à l’aise dans la parole et très vite de plein pied avec les événements. Comme tous les grands acteurs, c’est d’abord un corps, une force de vie qui touche les objets et interroge la présence physique des gens en face de lui et des décors qu’il traverse. Cette force d’incarnation, je savais que je l’aurai et que cela donnerait une réalité à l’enquête de Jacques, justement dans un univers où il est question de spiritualité. Jacques commence donc par être un corps étranger dans l’univers d’Anna… et il va rencontrer un regard. À la fin du film, on voit que le regard de Jacques a changé, qu’il perçoit désormais autre chose du monde et des êtres. Le journaliste qui a passé sa vie à chercher des preuves tangibles a rencontré sa limite. Il a découvert un monde où la preuve n’est rien et où l’invisible gardera ses secrets."
Xavier Giannoli a passé beaucoup de temps à regarder des essais car ce dernier réécrit le film une fois qu'il a trouvé ses acteurs. "J’ai vu des centaines de visages… et puis celui de Galatea Bellugi, que je ne connaissais pas. Il y a eu une évidence claire et sereine. J’ai regardé ses essais où Anna raconte son apparition et il était tout simplement impossible d’imaginer qu’elle était en train de jouer, de mentir. Ses regards, ses gestes, le grain de sa voix, tout conférait une saisissante réalité à ce qui est pourtant un récit incroyable. Il y avait même quelque chose qui avait à voir avec la folie tant elle semblait calmement croire à ce qu’elle racontait. On m’a ensuite dit qu’elle avait un peu joué dans des films, sans vraiment savoir si elle voulait devenir actrice alors qu’elle a une présence unique. Chaque jour passé avec elle sur le tournage était un moment de grâce. Elle a eu une relation très intéressante avec Vincent Lindon, comme s’ils avaient tous les deux compris qu’ils avaient tout à gagner à garder leurs distances. Elle est à la fois familière et insaisissable, tout ce dont peut rêver un metteur en scène. Sans doute un don du ciel."
Xavier Giannoli a d’abord écrit le film en écoutant Arvö Part avant d'inclurer ses musiques dans le film. Ce dernier est un compositeur lituanien contemporain. C’est l'ingénieur du son du réalisateur, François Musy, avec lequel il travaille depuis son premier court-métrage, qui lui a fait découvrir le musicien. "Comment vous parler d’un tel génie ? Comme je vous l’ai dit, j’ai voulu ancrer le film dans la réalité, dans l’époque, dans les bruits de l’époque : le bruit des machines à souffler des plumes, les bruits des avions et des voitures, les vibrations des néons dans les plafonds. Le film ne se déroule pas dans le silence d’église d’un petit village pastoral, bien au contraire. Alors la musique de Part intervient comme un contrepoint spirituel à ce réalisme qui ne prédispose en rien à accepter la possibilité du surnaturel. Sa musique laisse une place au silence, comme au doute, à la profonde humanité et poésie du doute.
Mais il y a aussi un thème de Georges Delerue auquel je tiens beaucoup. Il est très important pour moi que le cinéma soit un spectacle, le spectacle de nos vies qui se cherchent. Et cette recherche m’a fait repenser à ce thème que l’on entend à la fin du film et qui s’intitule Stellaire. C’est une musique qu’il avait composée dans les années 80 pour une série documentaire sur l’astrophysique à la télévision. On y voyait comment les hommes ont toujours cherché à percer les mystères du ciel. Je me souviens que des très grands scientifiques qui avaient passé leur vie à étudier l’univers finissaient par se poser la question de l’existence de Dieu."