Avec Pachamama, le réalisateur et co-scénariste Juan Antin a voulu rendre hommage, via l'animation, à la civilisation de l’Amérique Latine précolombienne : une civilisation visionnaire, dont le mode de vie reposait sur un cercle vertueux qui pouvait durer éternellement (contrairement à aujourd’hui où l'on s’évertue à épuiser les ressources de la terre). Il explique : "Mon attachement à l’écologie est inscrit dans la culture des peuples amérindiens. Pour eux, il n’y avait pas de séparation entre les êtres et le monde : c’était un tout. Cela rejoint l’approche de la physique quantique, qui considère qu’il n’y a pas de matière, mais seulement des vibrations d’énergie, et que tout ce qui constitue l’univers est lié. Ainsi que la cosmogonie et la vision des amérindiens, pour lesquels tout l’univers était tissé comme une immense toile d’araignée. La physique quantique nous montre que l’énergie passe d’un lieu à l’autre du cosmos et qu’il y a certains endroits où elle s’accumule comme des nodules. Ces peuples restituaient à la terre une partie de ce qu’elle leur donnait, dans un échange permanent avec une entité vivante, la terremère nourricière. La Pachamama !"
En présentant Mercano le Martien (2002) au festival de La Havane à Cuba, Juan Antin a eu une vision en regardant la mer : il a eu l’impression de voir les navires espagnols arriver. "C’est sur cette côte cubaine que le vaisseau de Christophe Colomb a débarqué. J’ai imaginé ensuite les malentendus entre les indigènes et ces espagnols qu’ils ont d’abord pris pour des dieux. Plutôt que de relater la colonisation de manière historique, j’ai voulu la raconter du point de vue des indigènes, à hauteur d’enfants. C’était important pour moi, car en Argentine, on apprend à l’école que les « bons » étaient les espagnols, apportant civilisation et progrès, et les indigènes, des sauvages. Sur un billet de cent pesos argentin, on voit le portrait de Rocca, un président qui a fait tuer des millions d’indiens. Le projet de conquête, c’était amener la civilisation européenne, s’emparer des ressources naturelles et exterminer les « sauvages ». Comme on n’enseigne pas cela à l’école, j’avais envie de raconter aux enfants que les conquistadors n’étaient pas des héros, mais des voleurs", se rappelle-t-il.
Pachamama est un film qui a connu une pédiode de conception très longue : le projet a débuté il y a 14 ans en Argentine. Juan Antin confie : "Le parcours fut long et complexe. Malgré cela, j’avais la certitude que le film existerait un jour. Finalement, quand j’ai rencontré Didier et Damien Brunner, ils m’ont dit assez vite « On y va ! ». Nous avons, avec ma famille, déménagé en région parisienne, en fonction des écoles qui nous plaisaient pour nos enfants…"
A ce moment, une rencontre incroyable a eu lieu : lorsqu'il choisissait une maison avec sa famille, à Verrières (dans le département du 92), Juan Antin a rencontré une professeur de violon qu'il cherchait pour donner des cours à sa fille. Il a alors fait connaissance avec son mari musicien. Le metteur en scène se souvient : "Il me dit « Je joue de la musique Renaissance, mais ce que préfère, c’est la musique précolombienne. » (rires) Et là, il me fait visiter son studio aménagé dans sa cave, et sort des plumes de condor, et des flûtes précolombiennes de plus de 2000 ans. J’étais tellement stupéfait que je me suis demandé si ce n’était pas un gag tourné en caméra cachée ! C’était impossible qu’une telle rencontre ait lieu par hasard ! Le script était déjà finalisé, et il y avait déjà les scènes avec le chamane et ses plumes de condor. C’était incroyable !"
Pachamama est un film chamanique, fait pour guérir de nombreuses blessures : le rapport entre les gens et la terre, les traces laissées par la conquête espagnole, etc. Le chamanisme existe dans toutes les cultures du monde, au Tibet comme en Sibérie. Mais autour de la Cordillère des Andes, il y a un lien particulièrement fort avec la Pachamama. Juan Antin explique : "On retrouve cela dans toute l’Amérique du Sud et un peu aussi en Amérique du Nord, cette vénération de la terre-mère, avec le principe d’échanges, d’offrandes. Les chamanes de la Cordillère des Andes considèrent certains endroits, des montagnes par exemple, comme des entités. Dans le film on appelle la petite statuette la Huaca, mais pour les peuples andin, une colline peut également être une Huaca, un lieu sacré. Ce terme se réfère à toutes les choses qui sont vénérées et qui ont un impact positif sur la population."
Les sculptures créées par Maria Hellemeyer et son équipe, responsable de la création de l’univers visuel de Pachamama et des recherches ethno-historiques, pour le pilote tourné en stop motion, ont été adaptées en dessins, puis transposées en 3D.
Le traitement artistique des visages sur les poteries était différent selon le peuple en question des Andes de l'époque précolombienne. Dans le film, on voit ainsi beaucoup de différences entre les représentations des visages des poteries inca du Pérou et celles du Nord de l'Argentine, sur lesquelles Maria Hellemeyer et son équipe ont basé les personnages des villageois. Cette dernière explique : "On pourrait dire que la poterie inca est plus naturaliste. Pour créer un univers des villageois qui soit en contraste avec le reste, j'ai utilisé des formes organiques liées à la terre, en leur donnant une énergie plus féminine, et des symboles liés à la lune. Et pour le design des personnages des incas, je me suis basée sur leur architecture qui est constituée surtout de lignes droites, car ils travaillaient les pierres de manière à les encastrer entre elles pour construire des bâtiments en hauteur, dressés vers le soleil. On retrouve cela dans les dessins que j’ai fait pour représenter les têtes des incas. Dans cet univers, l’énergie est celle du soleil, elle est plus masculine, comme celle du grand inca. Et il y a aussi l’omniprésence de l'or qui avait une valeur symbolique très forte dans leur religion."
Les thèmes de l’écologique et de l’écoresponsabilité sont au coeur de l’histoire de Pachamama. Dans le film, Juan Antin exprime sa colère de voir comment la nature est maltraitée aujourd’hui. L'auteur/réalisateur raconte : "Et l’analogie avec les peuples amérindiens respectant la nature, avec une vision spirituelle de la terre par rapport à la vision matérialiste des conquistadors qui passe par l’exploitation et la recherche de richesse. De même, quand les espagnols voient l’idole, la Huaca, ils pensent qu’elle est précieuse parce qu’ils croient qu’elle contient de l’or, alors que sa valeur est uniquement spirituelle."
Le village de Tepulpaï et Naïra n’est pas situé au Pérou, comme on pourrait le croire, mais en Argentine. A cette époque, les Incas du Pérou avaient conquis l’Argentine. L’idée, pour Juan Antin et son équipe, était de montrer une conquête venant se juxtaposer à une autre conquête. Il précise : "Les incas ont d’abord conquis ce peuple, puis les espagnols ont conquis les incas. Je ne pouvais pas dire que les indiens étaient toujours des gentils, car ils avaient pratiqué les sacrifices humains ! Mais contrairement aux aztèques du Mexique, qui menaient leurs conquêtes par la guerre, les incas nouaient des alliances intelligentes et bien organisées avec les autres peuples. Quand on était ami des incas, si on souffrait d’une pénurie de denrées, par exemple de laine, ils pratiquaient « la redistribution » en faisant venir de la laine d’une autre région, en échange d’autres produits comme des poteries. Cette organisation a permis aux incas de s’imposer dans les Andes pendant une trentaine d’années. Après ils ont abusé de leur pouvoir, leur chef s’est pris pour un dieu, et les espagnols se sont servis de ces dérives pour dire aux peuples locaux « Nous allons agir beaucoup mieux que les incas vis-à-vis de vous. » C’est ainsi que les alliances se sont rompues, et que les espagnols ont réussi à vaincre les incas."