Moi qui suis assez sensible, j’ai été surpris de n’avoir pas été profondément touché par ce film. Un sentiment mitigé, un sentiment coupable ! Et pourtant, il y a de quoi pleurer. Sensible, je l’ai été par l’interprétation de Zain Al Rafeea dans la peau de ce petit garçon Zain ; sensible par cette misère des quartiers misérables de Beyrouth ; sensible par la mort de sa petite soeur Sahar, âgée de onze ans, suite à une grossesse compliquée après avoir été « mariée-vendue » à un homme plus âgé ; sensible par l’énergie de ce petit Zain, travailleur, fugueur et protecteur d’un bébé Younas ; sensible par sa détermination de survivre dans ce Beyrouth au milieu de l’indifférence totale des habitants qu’ils croisent ; sensible par son courage d’intenter un procès à ses parents à qui ils reprochent leur incapacité à élever leurs enfants ; sensible à cette mère émigrée sans papier jouée par une sans-papier et qui a été arrêtée pendant le tournage du film. Toute cette misère ne peut que me révolter. Et elle me révolte ou m’indigne bien avant la projection de ce film. Zain est un enfant parmi tant d’autres enfants dans le monde, contraint de survivre dans des conditions inhumaines. D’aucuns parlent de manipulations artistiques tant cette misère parmi des misères multiples prend le spectateur en otage. On peut le considérer ainsi. Ne pas être insensible à ce « Capharnaüm » paraît légitime mais je peux aussi comprendre que Nadine Labaki ait chargé la barque. Mais l’a-t-telle vraiment chargée ? N’est-ce pas le témoignage de ce qu’elle a vu, rencontré ? Elle nous décrit avec sincérité une chronique de la misère dans Beyrouth. Que connaît-on vraiment de la misère pour la grande majorité des allocinautes ? Celle que l’on devine en croisant des SDF ? Celle que l’on évoque dans les faits d’actualité ? Celle qui participe au décor des pays exotiques ? De cette misère décrite par Nadine Labaki, je crois que nous n’en saisissons pas toute la mesure. Son discours est sincère, je ne doute pas de son investissement pour restituer une réalité. On est tous d’accord pour dire qu’il n’y a rien de nouveau. La misère est moche, pas belle à voir, à écouter. Oscar Wilde : « Ce dont on ne parle pas n’est jamais arrivé ». Trop facile. Je me doute bien que la misère est partout et qu’elle est inadmissible ! Quelle que soit la misère. Il n’y a pas de curseur à placer. Je n’imaginais pas la vie de ce petit Zain et de « son monde ». Mais jusqu’à présent, « ça n’existait pas » dans la mesure où on n’en parlait pas, dans la mesure où on ne me la montrait pas ! Nadine Labaki ne me prouve pas du contraire, elle me (nous) le rappelle. Alors que faut-il faire ? Se jurer qu’on ne regardera plus un film traitant de de toutes les misères, comme ces personnes qui se sont jurées de ne plus voir de films de guerre 39-45 ! Parce que pas envie de déprimer, pas envie de me flinguer l'esprit. On sait, point barre et on passe à autre chose ! Oui, je ne me fais aucune illusion, après l’indignation, la vie continue. « Capharnaüm » a une approche documentaire. Une caméra souvent à hauteur de Zain, écrasée par l’environnement bruyant et frénétique de la capitale libanaise. Charles Chaplin avait aussi le talent de nous parler de la misère, une misère qui avait le don de nous faire sourire et pleurer à la fois. Pourquoi donner de la légèreté à la misère ? Ce n’était pas l’intention de Nadine Labaky, seulement, si je n’ai ni souri ni pleuré à son film, c’est parce que son approche documentaire m’a poussé à rester à distance de ce pauvre petit Zain. Peut-être qu’un film purement documentaire m’aurait plus impressionné. Non pas que je doute de la fiction, mais cette fiction un brin « autobiographique » pour Zain (Zain Al Rafeea) et Yordanos Shiféra (Rahil) donne la mauvaise impression de charger la barque au point d’étouffer le spectateur. Comme je l'ai lu dans une critique presse : "N'en jetez plus !". Voilà pourquoi je peux comprendre que ce film qui a tous les atouts pour toucher les coeurs, l’humanité, provoque aussi du mécontentement ou de la déception. Franchement, tout ce parcours de Zain avec le petit Younas pour justifier un procès contre ses parents alourdi le propos, bien que percutant. Le thème d’un enfant de 12 ans qui intente un procès contre ses parents parce qu’ils sont incapables d’élever leurs enfants et dont la mère est enceinte, était à lui seul percutant. A voir en V.O si possible pour l’interprétation criante de vérité de Zain Al Rafeea.