Cate Blanchett, présidente du dernier festival de Cannes, ainsi que les autres membre du jury, ont décerné le prix du jury au film libanais "Capharnaüm". Ce dernier s'est également vu recevoir le prix du jury oecuménique et pour la première édition en 2018, le prix de la citoyenneté. Abordant le thème délicat de l'enfance maltraitée, Nadine Labaki, la réalisatrice, a jeté son dévolu sur des gens dont la vie réelle ressemble à leur personnage. Un film témoin donc, fort et violent où la réalité submerge la fiction initiale.
L'histoire raconte celle de Zain, grand frère d'une fratrie de huit enfants, qui, après avoir été arrêté par la police, annonce qu'il veut porter plainte contre ses parents pour l'avoir mis au monde. Il regrette le mode de vie et la misère qu'on lui impose et telle une vraie force de la nature, décide de trouver sa propre voie...
Comme l'a très bien dit la réalisatrice lors de la remise du prix du jury ; le cinéma ne sert pas qu'à divertir ou à faire rêver, il sert aussi à faire réfléchir sur un état du monde dans lequel on vit. Avec "Capharnaüm", elle met en lumière ce qui est caché ou ce qu'on ne veut pas voir ni entendre. Elle lève le voile sur l'invisible face auquel on tourne le dos depuis trop longtemps. Alors oui, "Capharnaüm" frappe là où ça fait mal, nous confrontant à notre bien-être quotidien, et à celui totalement absent de ces enfants qui n'ont pas choisis cette vie. Ce n'est pas un film qui fait du bien et qui permet de s'évader mais bien une réalité sociale qu'on se prend en pleine figure. En abordant des thèmes comme l'enfance maltraitée, les immigrés clandestins, les dégâts occasionnés par la guerre en Syrie, la notion de frontière, de travail et de famille, la nécessité d'avoir un papier pour prouver qu'on existe, ou sinon nous ne sommes rien le cas échéant, la cinéaste nous bouleverse face à ce capharnaüm sinueux.
Mais au-delà du dérangement que fait naitre le film chez le spectateur, c'est avant tout une oeuvre cinématographique poignante et haletante. A l'image d'un Oliver Twist des temps modernes adapté au Proche-Orient, "Capharnaüm" est une quête d'identité, une soif viscérale de vie et de liberté ! L'enfant est ici mature, courageux, fier et fort et affronte les injustices de la vie avec rage. Sa performance est totalement bluffante pour un enfant de cet âge-là, bourrée d'émotions et nuances. Il en va de même pour tous ses partenaires qui transcendent par leur naturel, leur sagesse et leur vécu car ils sont avant tout eux-mêmes avant d'être un personnage de fiction et c'est d'autant plus troublant pour la véracité insupportable du propos. Avec une proximité très intime aux acteurs, la réalisatrice nous plonge dans un combat quotidien, dans une révolte juste et indicible qui ne peut que nous secouer de la plus utile des manières. Esthétiquement, les plans sont sublimes et le montage alambiqué adoptant les flash-backs apporte à la narration une tournure originale.
Certains spectateurs pourront se sentir manipulés par le misérabilisme prononcée de l'histoire et par la musique parfois larmoyante qui a tendance à accentuer de façon cinématographique le drame des situations. Selon moi, le naturel saisissant des comédiens l'emporte et "Capharnaüm" n'a rien d'un pamphlet démonstratif et pathos. Certes, il est parfois long, mais le déterminisme du jeune enfant participe habilement à la force romanesque de cette injustice. Car ceux qui ne veulent pas ouvrir les yeux sur cette réalité y verront probablement un beau mélodrame urbain...