Il est assurément de bon ton aujourd’hui de vilipender Silvio Berlusconi désormais arrivé à la fin de son parcours. Sans aucun doute, l‘homme d’affaires milanais sulfureux a le premier, imposé une politique spectacle totalement décomplexée souvent à la limite de l’indécence. Une pratique qu’il a poussé d’emblée (au début des années 1990) à son paroxysme, s’attirant la moquerie d’une classe politique européenne tout à la fois choquée et estomaquée devant tant d’audace et de culot. Trente ans plus tard, il faut pourtant établir à regret le constat que les transgressions tant moquées et dénoncées de Berlusconi ont largement fait école. Paradoxalement, dans un pays réputé pour son instabilité gouvernementale, il est encore aujourd’hui le Président du Conseil italien qui possède le plus beau palmarès de la République née le 10 juillet 1946 sur les décombres du fascisme mussolinien. Qu’on en juge ! Avec 3339 jours, il est celui qui est resté le plus longtemps en fonction devant des personnages aussi éminents qu’Alcide de Gasperi, Aldo Moro, Giulio Andreotti, Bettino Craxi ou Romano Prodi. Derrière Amintore Fanfani qui compte cinq mandats, il est celui qui a réussi à convaincre ses compatriotes de lui confier trois fois les plus hautes fonctions. Et enfin il a été à la tête du gouvernement dont la longévité à été la plus longue (son deuxième mandant durant presque 4 ans). Ces données factuelles citées en préambule permettent de comprendre pourquoi celui que l’on surnomme « Il Cavaliere », au-delà des détestations légitimes qu’il suscite encore au crépuscule de sa vie, reste un mystère. Paolo Sorrentino ne s’y est pas trompé qui proposant un film fleuve (près de 4 heures en deux parties) aux spectateurs italiens, sensiblement raccourci pour l’exploitation dans les autres pays, a nommé sa plongée dans l’univers berlusconien « Silvio et les autres ». En effet, il ne faut jamais perdre de vue que sans les autres un homme public n’est rien. La duplicité du personnage, sa mégalomanie, ses outrances, sa vulgarité et même sa boulimie sexuelle maintes fois exposées ou commentées n’ont pu « s’épanouir » et se répandre sans la complicité de quelques-uns (et peut-être même bien plus) qui ont voulu y trouver leur compte. C’est ce parcours incroyable qu’a souhaité approcher Paolo Sorrentino en pensant sans doute que sa grammaire cinématographique qui ne rechigne pas au clinquant et à l’outrance allait pouvoir s’infiltrer au cœur de la geste berlusconienne. Malheureusement, le réalisateur de « la grande Bellezza » s’est un peu pris les pieds dans le tapis, passant une très longue entame à mettre en images les fantasmes du Cavaliere vus à travers l’imagination atone d’un petit gigolo tarentin (Riccardo Scarmaccio) qui tente de s’approcher de Berlusconi via son goût revendiqué pour la pratique du « bunga bunga » (expression datée de 1910 et attribuée à l’aristocrate Horace de Vere Cole faisant référence aux parties fines). Une manière certes possible d’approcher le personnage encore ne faut-il pas tomber dans la complaisance stylistique ? Péché mignon auquel Sorrentino n’est jamais loin de céder. Quand enfin arrive le grand Toni Servillo grimé au possible, lointain cousin de « L’homme qui rit » campé par Conrad Veidt dans l’inoublable film de Paul Leni (1928), la narration prend un peu d’épaisseur, laissant apparaître un Berlusconi assez loin de l’image qu’il renvoie en public. Cynique comme tout homme de pouvoir, imbu de sa personne mais aussi conscient des lacunes de son parcours et d’un penchant à l’esbrouffe qu’il n’a jamais pu refréner. Les conversations avec sa femme Veronica sur le point de le quitter, interprétée par l’excellente et sublime Elena Sofia Ricci, comptent parmi les meilleurs moments du film. Croyant indéfectiblement en sa capacité à tout recommencer, le vieil homme tente de reconquérir celle qu’il n’a pas cessé de ridiculiser croyant que le luxe qu’il lui offrait pouvait tout remplacer. Dans ces quelques scènes, sans pour autant rendre sympathique le bonimenteur invétéré qu’aura été toute sa vie Berlusconi, se mentant surtout à lui-même, Sorrentino nous rappelle que la vérité d’un homme n’est jamais le reflet exact de ce qu’il montre de lui-même. Sorrentino touche certes quelquefois sa cible mais de façon trop disparate, s’approchant trop rarement du centre. Cela ne suffit pas à faire de « Silvio et les autres », un film totalement convaincant.