S’il s’inscrit pleinement dans la veine qu’affectionne Paolo Sorrentino depuis ses débuts, et qui consiste à soulever le tapis vert-blanc-rouge pour en examiner l’envers pas très propre, ‘Silvio et les autres’ a suscité des appréciations divergentes et très tranchées...comme presque tous les films de Sorrentino, d’ailleurs ! Il y a une dizaine d’année, ‘Il divo’ examinait le fonctionnement affairiste et incestueux de l’ancienne classe politique italienne.. L’ère Berlusconi, si elle a toujours clamé vouloir faire table rase du passé, n’a rien changé à la donne, si ce n’est qu’elle a ajouté à ce minestrone de corruption et de relations troubles avec le grand banditisme un libéralisme décomplexé et une vulgarité satisfaite qui, grâce à l’omniprésence des réseaux télévisés du patron, s’est infiltré dans les moindres interstices de la société italienne. Pourtant, ‘Silvio et les autres’ n’est pas à proprement parler une biographie de l’ascension du Cavaliere vers la magistrature suprême mais un moment saisi au vol dans son existence agitée, au milieu des années 2000, alors qu’il se prépare à revenir dans l’arène politique et que sa femme Veronica Larrio, lassée de sa bouffonnerie, envisage de demander le divorce. Sorrentino ré-invente ce que pouvait être le quotidien d’un Berlusconi oisif à cette époque, annonçant en préambule, entre prudence et ironie, que “tout est issu de l’imagination de l’auteur sauf ce qui est vrai�...! On est curieux de découvrir comment Sorrentino s’est arrangé pour “soap-iser� la vie du maître de l’Italie pendant plus de trois heures...mais au final, on ne peut pas affirmer que c’est à une “narration�, au sens traditionnel du terme, qu’on a affaire mais plutôt à une succession désordonnée de vignettes et de saynettes, où les orgies endiablées, qui voient des politiques aussi décrépits que les ruines du Colisée défiler pour rendre hommage ou quémander une faveur au Maître pendant que des filles à moitié nues se trémoussent au bord de la piscine sur les beats d’une Eurodance kitschissime, alternent avec les moments de torpeur que le maître de maison ne met jamais à profit pour se poser mais bien pour contempler avec fierté sa Création et échafauder les plans les plus grandioses pour l’avenir : cette agitation forcenée évoque d’ailleurs fortement celle du vieux noceur Jep Gambardella tout au long de ‘La grande bellezza’. Il y a aussi cette trame accessoire d’un petit arriviste plus ou moins proxénète, Sergio Morra, qui tente de monter en grade en titillant l’appétit du Cavaliere pour la chair fraîche...mais ce qu’on prend au début comme un révélateur des turpitudes du pouvoir se révèle au final totalement périphérique. Il est vrai qu’il est difficile d’exister dans l’ombre de Silvio, incarné par Toni Servillo : sourire figé, traits liftés, cheveux gominés et plaqués vers l’arrière, il est de tous les plans, le plus souvent rôdant dans sa magnifique villa au bord de la mer tyrrhénienne qu’on jugerait presque décorée avec goût si on n’y trouvait pas aussi un manège à l’ancienne, une gelateria personnelle ou un volcan de pacotille qui sont autant d’appâts pour attirer un flux ininterrompu de bimbos décérébrées séduites par l’aura, la fortune et le luxe vulgaire de ce pantin vaniteux, qui suscite cette curieuse forme de sympathie attristée qu’on éprouve pour ceux qui sont devenus de pures caricatures d’eux-mêmes avec autant d’aplomb. L’approche visuelle de Sorrentino, comme toujours clipesque, clinquante, faussement arty et absolument complaisante, n’aurait pas pu trouver meilleur écrin que ce Neverland d’un presque vieillard qui s’acharne à conjurer le temps qui passe. On peut toutefois comprendre ceux qui ont reproché au film de ne parler de rien, de se complaire dans le spectacle des loisirs et des tracasseries d’un cacochyme décadent et malhonnête et de ne jamais chercher à comprendre comment il est possible qu’un pays d’art et de foi comme l’Italie ait pu en arriver à ce stade, d’autant plus que le réalisateur n’a eu de cesse de déclarer que l’anomalie n’était pas l’existence de Berlusconi mais le fait qu’une majorité d’Italiens aient voté pour lui. Il est vrai qu’à l’écran, l’Italie semble n’exister que dans les fantasmes berlusconiens, que l’univers entier semble se résumer à la villa Certosa et qu’il y a une ironie mordante à voir Berlusconi plastronner et éructer dans la sécurité de son territoire, et le même, sombre, défait et désorienté lorsqu’une fois revenu au pouvoir, il est confronté à des réalités extérieures moins évidentes à gérer, comme le séisme de l’Aquila. Et pourtant, je suis convaincu que Sorrentino a pris la bonne décision, la seule qui vaille pour un tel sujet, car on ne pouvait dépeindre correctement ce “précurseur�, qui avait compris avant tout le monde le pouvoir des fake news, du nivellement par le bas et du mensonge asséné avec aplomb, qu’en filmant le Vide avec autant d’éclat, de mouvement et d’énergie.