A ce jour, la fable cynique est le meilleur moyen que les Bulgares (et beaucoup d’autres peuples d’Europe orientale) aient trouvé pour relativiser - on n’oserait pas dire “lutter contre� - la corruption et le gaspillage endémique qui entravent le développement de leur pays. Tzanko, humble employé des chemins de fer, trouve, dans le centre de triage où il travaille, un sac d’argent qu’il remet aux autorités. Ce acte honnête et désintéressé lui vaut d’être convoqué au ministère des transports afin d’être officiellement félicité lors d’une conférence de presse. Tzanko se dit qu’il en profitera pour évoquer les vols de carburant dont il est témoin sur son lieu de travail et l’impunité dont ils bénéficient. De plus, afin qu’il puisse passer à son poignet la montre que va lui remettre le ministre devant les caméras, les employés du ministère lui enlèvent la sienne, cadeau de son père et, forcément, l’égarent. Ces deux actes, anodins en apparence, vont servir à asseoir la démonstration qu’au pays des aveugles, les borgnes sont voués à être éliminés parce qu’ils osent voir d’un seul oeil au lieu de suivre la norme. C’est un déluge de catastrophes et de pressions qui va en effet s’abattre sur le pauvre Tzanko, entre le ministre qui n’a pas envie qu’on vienne lui parler de malversations dans ses services, la chef du personnel responsable de la perte de la montre, qui ne comprend pas l’obstination de ce simplet à vouloir récupérer une breloque et ses collègues, mécontents que quelqu’un ait attiré l’attention sur leurs petits traffics. Evidemment, on pense à ces films poil-à-gratter, à l’humour noir imperceptible, qui caractérisent le voisin roumain. Il existe toutefois de petites mais réelles différences de fond entre les deux : dans les films roumains, le plus souvent, les hommes sont responsables, collectivement et par leurs actes individuels, de la déliquescence du système. Chez les Bulgares, la responsabilité est inversée et ce serait plutôt un système vicié jusqu’à la moëlle qui oblige les individus à s’adapter à ses contraintes et broie impitoyablement celui qui s’y refuse. Qui plus est, là où les Roumains se veulent d’un naturalisme et d’un réalisme implacable, ‘Glory’ n’hésite pas à forcer le trait pour plus de lisibilité : la chef du personnel est une personnalité carriériste dans ce qu’elles peuvent avoir de plus détestable et la simplicité de Tzanko en fait forcément quelqu’un de fruste et un peu arriéré, pas du tout à sa place dans un contexte urbain moderne. Si on y ajoute une mécanique parfois artificielle, qui semble “forcer la main� au scénario pour qu’il aboutisse à l’endroit prévu, il est clair, sans vouloir envenimer la haine séculaire entre les deux nations, que la Roumanie possède quelques coups d’avance sur son voisin en matière de cinéma.