Corniche Kennedy est l'adaptation du roman du même nom écrit par Maylis de Kerangal. Un autre livre de la romancière a été adapté récemment au cinéma par Katell Quillévéré, Réparer les vivants.
La réalisatrice Dominique Cabrera revient sur son envie d'adapter Corniche Kennedy au cinéma :
"Depuis longtemps, je voulais faire un film à Marseille, qui est une ville que j’adore. J’y vais souvent et depuis longtemps. Je suis pied noir, je crois que c’est l’écho avec l’Algérie qui me touche dans cette ville, comme si elle était le miroir d’Alger, de l’autre côté de la Méditerranée. J’aime la grande ville populaire au bord de la mer, le brassage social, ethnique. À Marseille plus qu’ailleurs encore, je rêve à l’histoire des passants, comme si dans ses rues les mythes et les histoires se croisaient. J’ai donc cherché une histoire qui se passe là-bas, lu beaucoup de romans et Corniche Kennedy m’a happée."
Durant la préparation du film, la réalisatrice Dominique Cabrera est allée vivre à Marseille pour s'imprégner des lieux :
"Je parlais avec les uns et les autres, j’écoutais, j’allais à la rencontre d’associations, et bien sûr des jeunes qui plongent depuis la Corniche. Et un jour, je vois de loin un petit groupe à l’endroit exact où je pensais que pouvait se passer le film. Je m’approche, je cherche à les photographier, ça ne leur plaît pas mais quelque chose se passe, des atomes crochus, je ne sais pas, et on se revoit. Je ne voulais pas de malentendus et je leur dis que ce n’est pas un casting déguisé. Je leur parle du roman, de ma recherche d’éléments justes et vrais. L’un d’eux me dit : « On a compris ce que tu veux, on va t’aider .» Et c’est ce qu’ils ont fait. Ils m’ont raconté des histoires, aidée à identifier des « spots » de plongée, à trouver les mots, donné leurs mots… Plus tard, ils ont lu le roman, j’ai partagé le scénario avec eux, on a travaillé sur les dialogues, les situations. Ils étaient quatre ou cinq, parmi lesquels Alain Demaria et Kamel Kadri, qui jouent Mehdi et Marco dans le film."
Dominique Cabrera a souhaité engagé des jeunes de Marseille sans expériences cinématographiques pour une plus grande authenticité :
"Il me semblait en effet plus juste d’engager des jeunes de Marseille adeptes du plongeon auxquels il faudrait apprendre à jouer que des jeunes acteurs venus d’ailleurs à qui apprendre à plonger et à parler marseillais… Encore fallait-il les trouver. Bania Medjbar, ma directrice de casting, a crapahuté au bord de la mer, elle a repéré des jeunes gens et on a constitué ce groupe d’adolescents. C’est devenu une bande au fil des ateliers, des séances d’entraînement. Le miracle pour moi a été cette rencontre, son intensité. J’ai été entraînée, et même dépassée par les sentiments. Et eux aussi. On était contents d’être ensemble. Cela a demandé beaucoup de travail, il y a eu des crises, des moments de doutes… Ça a été tout un processus mais c’était magique."
Parmi la bande de comédiens non-professionnels, on retrouve l'actrice Lola Créton. Au départ, la cinéaste Dominique Cabrera souhaitait aussi engager une comédienne novice pour le rôle de Suzanne avant de penser à la jeune femme :
"Je n’avais le déclic pour aucune des jeunes filles formidables que Bania Medjbar me présentait. Et un jour, j’ai eu la vision de Lola Créton, que j’avais remarquée dans Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Løve. Il m’a semblé que la distance géographique et sociale serait bonne pour le film. Je me souviens de la première fois où Lola est venue faire des essais à Marseille. J’ai pensé : « Elle ne va jamais vouloir faire ce petit film avec des minots. » Et puis je l’ai emmenée sur la Corniche, je l’ai vue marcher dans cet endroit sublime et je me suis dit : « Elle comprend dans quel écrin elle va être filmée, elle va dire oui ! »"
Les scènes de sauts forment un élément central de Corniche Kennedy. Dominique Cabrera explique les coulisses du tournage de ces séquences vertigineuses :
"Les sauts sont effectivement le coeur du film. Ces jeunes gens exclus très tôt du système scolaire et marginalisés socialement y sont passés maîtres. Le saut de la Corniche est leur instant de gloire, d’excellence. Il ne faut pas oublier que sauter de si haut dans la mer est réellement dangereux. On a fait un énorme travail d’entraînement, de sécurisation et de repérages avec le plongeur, champion de haut vol, Lionel Franc. Mais au moment de tourner, on nous a dit : « Pas question ! On lutte contre les sauts sauvages donc vous n’aurez pas d’autorisation. Jouez la comédie ici mais allez sauter à Cassis ! ». On a donc tourné tous les sauts en douce en trois jours à la toute fin du tournage, à la mi-octobre, dans une eau glaciale."
Le film se déroulant uniquement en extérieurs, Dominique Cabrera a donc souhaité filmer en lumière naturelle à l'aide de sa directrice de la photographie Isabelle Razavet :
"Elle a fait un grand travail de repérage de la lumière, on a tourné à des endroits et à des heures très précis, il ne suffit pas de planter la caméra sur les rochers. C’est troublant pour moi car Corniche Kennedy apparaît comme mon film le plus spontané alors qu’il a été peut-être le plus compliqué à fabriquer ! Tout a été conquis, avec l’équipe on s’est battus contre la matière tout le temps."
Dominique Cabrera précise pourquoi elle a utilisé la figure du poulpe dans Corniche Kennedy :
"Comme toutes les images, le poulpe miroite de plusieurs couleurs : l’ombre de la mafia, le danger qui s’approche des jeunes mais aussi le merveilleux. Sous l’eau, le poulpe est comme une apparition, un animal marin représentant, comme les oursins, les nuages ou l’herbe mouvante, ce monde naturel qui nous porte et nous dépasse. Puis le poulpe est pêché, il perd ses couleurs précieuses, il est moqué, jeté dans une flaque pour être cuisiné, mangé. C’est alors à la fois un élément réel du bord de mer et une métaphore de la jeunesse, appelée à voir son élan vital cadré, encadré, exploité. La scène de pêche dans Stromboli de Rossellini était pour moi une source d’inspiration : l’explosion du documentairedans un film qui est aussi un documentaire sur les acteurs."
Dominique Cabrera nous parle du travail sur la musique dans Corniche Kennedy :
"Comme pour tous mes autres films, j’ai retrouvé Béatrice Thiriet, une formidable musicienne. La musique originale de Corniche Kennedy célèbre notre belle collaboration. Béatrice Thiriet / Dominique Cabrera : 20 ans, presque l’âge des héros du film ! La musique est un mélange d’électro, de voix et de symphonie. (...) C’est une B.O. tour à tour joyeuse, mélancolique, sensuelle, mystérieuse qui laisse éclater les rimes des chansons : la magnifique N’selfik et la chanson de Kamel Kadri et Imhotep ou le slam de Dante.
Sur le générique de fin on retrouve les voix des Saïan Supa Crew que nous avions rencontrés pour Nadia et les hippopotames. La musique porte, agrandit le film. (...) Kamel écrivait des chansons, je voulais leur faire une place dans le film. Il a travaillé avec Béatrice sur l’un de ses textes. Et ensuite, la vie m’a apporté la rencontre avec Imhotep d’IAM, le groupe marseillais de légende, qui a généreusement accepté de mettre en musique une des chansons de Kamel. Celle-ci résonne comme les mots, les humeurs changeantes d’un journal intime."
Dans le roman original, le personnage du commissaire est un homme. Dominique Cabrera a décidé d'en faire une femme incarnée par Aïssa Maïga :
"J’ai dû me projeter dans ce personnage de flic qui observe ces jeunes… Et je l’ai écrit au féminin ! Et puis quand j’ai eu la vision d’Aïssa Maïga pour jouer le rôle, j’ai adapté le rôle pour elle. J’avais tourné avec Aïssa un téléfilm, Quand la ville mord, et beaucoup aimé cette rencontre. C’est un bonheur de la filmer, elle a une grâce fragile et une grande autorité."