Woody Allen a décidé de situer l'action de son 47ème long-métrage autour de la grande roue de Coney Island. Le cinéaste a toujours éprouvé une grande tendresse pour cette péninsule située à l'extrême sud de Brooklyn. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, dans Annie Hall, le petit Alvy Singer grandit à proximité du parc d’attraction. Le cinéaste en garde des souvenirs d’enfance joyeux : "Quand je suis né, l’époque florissante de Coney Island était déjà révolue depuis un bon moment, mais c’était encore un endroit magique pour moi, confie-t-il. Ce lieu m’a toujours impressionné. Il y avait là une faune de gens hallucinants et il s’y passait des choses étonnantes. On sentait qu’une énergie folle s’en dégageait. Je me suis dit que c’était un environnement hors du commun – et passionnant – pour y situer un film."
Comme souvent chez Woody Allen, Wonder Wheel mêle amour et trahison. "Qu’on se plonge dans les tragédies grecques, ou qu’on lise Stendhal, Tolstoï ou Dickens, les relations amoureuses sont omniprésentes car elles sont sources d’angoisses et de conflits. Elles font surgir des émotions et des situations, à la fois complexes, profondes, intenses, déroutantes et fortes. Je me suis toujours intéressé aux problèmes des femmes. Au fil des siècles, les hommes ont eu tendance à exprimer moins volontiers leurs souffrances : le mot d’ordre masculin consiste à ne pas avouer qu’on souffre. C’est comme dans le base-ball où, quand un “batteur” est touché par un “lanceur”, il est censé ne pas montrer qu’il a mal. À l’inverse, les femmes se sont toujours senties plus enclines à afficher leurs sentiments. J’ai essentiellement tourné des comédies mais quand j’ai réalisé des drames, je me suis presque toujours – pas toujours, mais presque – attaché à des femmes dans des situations critiques."
Si le film s’appelle Wonder Wheel en raison de l’attraction constamment visible depuis l’appartement familial, le titre comporte aussi une résonance métaphorique. "Ces personnages sont enfermés dans une sorte de boucle comportementale qui se répète indéfiniment. Même s’ils ont vraiment envie de changer, Humpty et Ginny sont prisonniers de leur tempérament profond. Leur vie décrit une forme de cercle vicieux et ils sont victimes de leur dépendance mutuelle dont ils n’arrivent pas à s’extraire", déclare James Belushi. Il est sans doute vrai qu’on peut voir une métaphore de la vie dans n’importe quel manège d’un parc d’attractions. Soit on est à bord de la Grande Roue qui tourne encore et encore, inexorablement, au même rythme que le temps qui passe sans but, soit on est sur un manège en train de chercher à décrocher le pompon qu’on ne réussira pas à attraper, soit on est sur les montagnes russes. Le point de vue qu’offre la Grande Roue est magnifique mais on ne va nulle part. C’est un lieu un peu romantique et beau aussi mais, en fin de compte, assez futile", confie Woody Allen.
Woody Allen évoque son travail avec ses actrices : "Je cherche des comédiennes au registre suffisamment étendu, capables de profondeur et de puissance dans le jeu, et je tente de leur offrir des situations leur permettant de déployer leurs immenses talents. Quand je développe une histoire, j’ai tendance à éviter les scènes trop subtiles où l’émotion passe par un simple sourcil qui se soulève. En revanche, je privilégie les séquences dramatiques baroques qui permettent aux actrices de laisser libre cours à leurs émotions." Le personnage de Ginny s’inscrit dans la droite ligne des héroïnes alléniennes complexes, perturbées et écrites avec un grand sens de l’observation. "Je savais qu’il me fallait une immense comédienne pour camper ce rôle, déclare le réalisateur. Or, il n’y a que très peu d’actrices anglo-saxonnes qui possèdent la puissance et la profondeur que je recherchais. Kate Winslet en fait partie, et quand on a entamé le casting, j’ai très vite pensé à elle."
Kate Winslet révèle avoir été très anxieuse à l'idée de ne pas réussir à s'approprier le personnage de Ginny : "J’étais très angoissée parce que je me disais que je ne saurais pas comment m’y prendre, reconnaît-elle. Et si j’échouais, je ne me le pardonnerais pas. Cette femme d’une grande complexité imposait de ne pas en faire un personnage stéréotypé, de ne pas basculer dans l’hystérie, de faire en sorte qu’elle soit crédible – et jamais caricaturale – et surtout qu’elle reste ancrée dans son quotidien sordide. Woody Allen voulait me confier le rôle et il a fallu que je me montre à la hauteur de ses attentes et que je ne le déçoive pas en trouvant toutes les ressources nécessaires au fond de moi."
Pour Woody Allen, Kate Winslet était parfaitement maîtresse d’elle-même sur le plateau. "S’il fallait marquer une pause dans une scène ou exprimer une émotion, ou encore si je faisais un changement dans ses dialogues, elle faisait exactement ce que je lui demandais en apportant une densité formidable à son jeu, déclare le cinéaste. C’était fascinant. Je lui ai dit que c’était comme si j’avais une arme nucléaire à ma disposition !"
Justin Timberlake évoque, aux yeux de Woody Allen, les grandes stars de l’âge d’or d’Hollywood. "Si on était dans les années 30, 40 ou 50, il serait l’égal d’un Gable ou d’un Bogart, commente le cinéaste. Il aurait parfaitement trouvé sa place parmi eux. Il illumine l’écran dès que la caméra se pose sur lui. Justin a tout pour lui. C’est un acteur de tout premier plan, parfaitement crédible en maîtrenageur et en idole des femmes qu’il croise sur la plage." Timberlake a, lui aussi, été ravi de collaborer avec Woody Allen. "Woody a sa propre méthode, note-t-il. Il est rapide et tourne peu de prises. Il laisse longtemps tourner la caméra, et il se contente de deux à cinq prises par scène. Au départ, c’était franchement effrayant mais, au bout d’un moment, j’ai trouvé sa méthode libératrice et amusante, parce que je n’étais pas obligé de réfléchir en permanence à ce qu’on venait de tourner. C’est ce qui m’a aussi permis de découvrir des choses nouvelles. J’avais l’impression de me produire dans une pièce avec une bande de comédiens de très grand talent à mes côtés."
Deux acteurs des Soprano se sont glissés dans le casting de Wonder Wheel. Il s'agit de Tony Sirico et Steve Schirripa, qui incarnaient respectivement Paulie et Bobby dans la série culte.
Woody Allen a envisagé plusieurs comédiennes pour le rôle de Carolina mais n’a pas réussi à dénicher la personne correspondant à ses critères, jusqu’à ce que la directrice de casting Patricia DiCerto lui montre un enregistrement de l’actrice anglaise Juno Temple. "Je l’ai trouvée brillante, s’enthousiasme le cinéaste. Elle est très émouvante et crédible, et elle avait toutes les qualités requises pour le rôle. Tout d’abord, elle est ravissante et sexy, si bien qu’elle a tous les atouts pour être vraisemblable en plus jolie fille du coin, sans pour autant posséder cette beauté de star à la Marilyn Monroe – si c’était le cas, on ne pourrait pas croire qu’elle rencontre le moindre problème à Coney Island ou ailleurs. Ensuite, elle n’était pas trop sophistiquée. Je suis certain que Juno est capable de jouer les grandes pièces du répertoire, mais pour ce film, elle a su se glisser dans la peau d’une habitante de Coney Island de milieu modeste."
Juno Temple salue la direction d’acteur du cinéaste. "Woody ne donne pas énormément de consignes, mais quand il le fait, c’est toujours profond et pertinent, ditelle. Les longues scènes, très fluides, qu’on a tournées étaient chorégraphiées comme un ballet dialogué, et il est d’une grande précision sur la mise en place de ses acteurs par souci de la composition du plan. Parfois, il souhaitait qu’on se déplace de 30cm pour que l’éclairage rende mieux."
Après Café Society c’est la deuxième fois que Woody Allen tourne avec le chef-opérateur Vittorio Storaro. "Vittorio est un formidable collaborateur et un cadreur de génie, si bien que pour chaque décision à prendre, il a d’excellentes idées, souligne le cinéaste. C’est merveilleux de travailler avec un si grand technicien." Si dans Café Society, Storaro a eu recours à deux palettes de couleurs pour différencier New York et Hollywood, il a proposé, pour ce nouveau projet, d’associer deux registres chromatiques distincts pour chacun des protagonistes féminins. "Pour moi, on peut utiliser la lumière et la couleur comme des notes dans une partition musicale ou des mots dans un scénario", analyse le chef-opérateur. "Il existe une physiologie de la couleur : un ton très chaud peut augmenter la métabolisation de l’organisme ou la tension artérielle, et à l’inverse, un ton très froid peut les diminuer. J’ai donc associé tous les tons chauds – jaune, orange, rouge – à Ginny et j’ai identifié Carolina à une gamme de bleu clair. Ces deux palettes sont comme deux personnages et Mickey est pris en étau entre elles – il reflète la palette du personnage dont il est proche à tel ou tel moment." Ces choix chromatiques n’étaient pas utilisés de manière purement abstraite, mais devaient évoquer avec réalisme les lieux et les époques où se situaient les personnages.
Woody Allen souhaitait que Humpty et Ginny vivent, pour ainsi dire, au coeur du parc d’attraction de Coney Island, sans pouvoir échapper au vacarme et aux néons clignotant en permanence. Le chef-décorateur Santo Loquasto a d’abord déniché un appartement au premier étage d’un immeuble de Nyack, dans l’État de New York, qui a plu à Allen et à Storaro. Mais en définitive, la production a estimé que, par souci d’efficacité, il était préférable de construire un décor similaire aux Silvercup Studios de Long Island.
"Ce décor est très vulnérable et comporte énormément de fenêtres", analyse Loquasto. "C’est un lieu propice au voyeurisme qui n’offre aucune échappatoire au parc d’attraction. La cuisine est comme un grenier qui a été rajouté à l’appartement. Il y a même là un guichet qu’on aperçoit partiellement. Ce que je voulais, c’était évoquer l’idée que cet espace avait une histoire très riche et peut-être même accueilli les bureaux du parc d’attraction, puis qu’il avait été réaménagé en logement pour les employés. Il y avait même des panneaux au plafond qui suggéraient qu’il s’agissait autrefois d’un dancing populaire."
En dehors de l’appartement, l’ensemble du film a été tourné en décors réels à Coney Island et dans d’autres sites de New York. Loquasto a réuni sa documentation à partir de nombreux ouvrages, de visites à la Historical Society for Coney Island et de sites Internet. "On a déniché des lieux qui existaient à l’époque et on les a aménagés pour qu’ils aient l’air authentiques, en fonction de notre documentation, précise Loquasto. Bien qu’on n’ait pas tourné en studio, on a dû construire pas mal de choses. On a ainsi bâti plusieurs devantures de magasins devant des boutiques par souci de réalisme."
La reconstitution de la plage bondée de Coney Island dans les années 50 a été conçue de manière infographique par Brainstorm Digital, studio d’effets spéciaux. La promenade derrière la plage, les bâtiments, les échoppes, les guichets et les attractions emblématiques du parc ont été obtenus grâce à des effets visuels. Si l’on aperçoit la véritable Grande Roue au moment de l’arrivée de Carolina, celle qu’on distingue par les fenêtres de l’appartement familial a été mise au point par Braisntorm Digital. Il en va de même d’un panorama à 270° sur le Cyclone, du Saut en parachute, des immeubles, des panneaux, des arbres, de la plage, de l’océan et du ciel. Non seulement les experts en effets visuels ont dû imaginer cet environnement visuel, mais aussi s’adapter à la lumière subtile de Storaro.
"Vittorio travaille avec une console d’éclairage grâce à laquelle il modifie la luminosité et les couleurs dans le même plan", indique le superviseur/producteur effets visuels plateau Richard Friedlander. "Le travail de Vittorio me fait penser à un tableau dynamique mêlant couleurs et lumière et il a fallu qu’on harmonise notre univers numérique à ses créations en postproduction." Le superviseur effets visuels Eran Dinur ajoute : "Je crois qu’on s’accorde tous à dire qu’il s’agit de notre mission la plus complexe à ce jour, non seulement en raison de la subtilité des éclairages, mais aussi à cause de caméras constamment mobiles et de changements de point de vue, de focale et de format de plan." Par ailleurs, étant donné le goût de Woody Allen pour le plan-séquence, les plans de Wonder Wheel sont considérablement plus longs que dans tout autre film. "Au lieu de plans de 150 images, nos plans d’effets visuels comportaient de 2000 à 5000 plans", souligne le producteur effets visuels Glenn Allen.