Ce que Nick Park a apporté avec sa série phare, c’est surtout la malléabilité de son univers en argile, couplé au stop motion. Du court-métrage « Creature Comforts » à la série « Shaun le mouton », en passant « Wallace et Gromit », les studios Aardman se sont bien forgés une identité et un savoir-faire qui ne demande qu’à être exploités. En adoubant l’art muet et en s’imprégnant de ses plus fidèles arctiques (Buster Keaton, Charlie Chaplin), toute la subtilité reste ainsi dans un langage loin d’être primitif, à l’image de ceux qui papotent à l’excès. Après « Chicken Run » puis « Early Man », le créateur a alors permis à la Mossy Bottom Farm de s’ouvrir à la science-fiction. Ce qui profite à Will Becher et Richard Phelan, qui s’amusent à détourner un peu plus les références de la culture populaire. Et ce seront bien les Américains au premier plan, avec suffisamment de Spielberg pour se satisfaire de sa créativité et de sa sensibilité auprès des plus jeunes et des vieux jeunes, notamment.
Mais à l’égard de cet artisan, à qui on emprunte « E.T. l’extra-terrestre », « Rencontre du Troisième Type », et même « Les Dents de la Mer », c’est toute une symbolique qui rappelle en quoi le fait-main ou le fait maison exige une saveur plus forte et plus sincère. Le film baigne constamment dans cette démarche, irradiant ainsi les personnages d’une grande humanité, surtout à l’arrivée de la cadette du troupeau, Lu-La. Cette créature, des plus adorable et des plus juvénile, trouvera racine auprès de Shaun et ses amis. Mais le village de Mossingham n’est pas préparé à cette nouvelle folie, où ce personnage égaré cultive une gourmandise infinie pour les couleurs et les sucreries les plus simples. C’est également avec ce panel moins exigeant qu’autrefois, que le film ne parvient pas totalement à s’affranchir de la gravité, malgré l’envol qu’il convoite. Peut-être est-ce un désir assumé, mais qui peine parfois à prolonger le plaisir que l’on éprouve à s’impliquer dans le parcours convenu de l’alien et de ces anomalies de la campagne. S’agit-il seulement d’un aller-retour ou bien d’une réelle excursion dans le confins de la galaxie ? Il est évident que l’on s’amuse à condenser les gags en orbite d’un patelin, où même les agents les moins furtifs du gouvernement nous invitent au divertissement.
C’est toute une histoire de voisinage qui opère avec une justesse, encore une fois, limitée mais diablement efficace lorsqu’elle se permet des ruptures de ton et qu’on laisse l’absurde diriger la prochaine action. Et les nombreux hommages (Alien, 2001 : l’Odyssée de l’espace, X-Files, Men In Black, Signes, …) qui s’imbriquent démontrent ainsi une volonté de bâtir une structure narrative sur la notion d’un chaos, ou encore d’un Armageddon. Cela fait généralement mouche, sachant le zèle d’une équipe technique, qui a tout donner pour ce soit le plus fluide possible. Entre les bêlements et les grognements, nous retrouvons bien du cinéma et un sens du spectaculaire à en lâcher un gros billet pour venir en profiter. Mais dans l’ombre de cette observation, c’est avec la même touche parodique qu’il faut y voir le paradoxe de notre consommation en salle obscure, tel un parc à thème, monté et remonté avec l’appât du gain ou d’une nouvelle machine de guerre, servant à moissonner sans modération. Si les attentes sont rarement à la hauteur du tarif imposé, cette fabuleuse aventure aura de quoi réjouir, car elle s’emploie au mieux à entretenir la magie qui l’anime.
En somme, « Shaun le Mouton Le Film : La Ferme Contre-Attaque » (A Shaun the Sheep Movie: Farmageddon) n’est ni à bouder, ni à ranger au sommet d’un fumier. Il trouve sa place dans un bloc précurseur et encourageant pour les futures retrouvailles avec cette ferme qui n’a pas fini de se rebeller. Par ailleurs, il s’agit d’une opportunité pour renouer avec le langage visuel et sonore, qui génère autant de surprises que de curiosité pour le genre muet, réapproprié avec malice et une image ludique forte. Tous les feux sont donc verts avant le retour d’un poulailler, qui a précédemment trouvé les ailes pour s’évader de leur routine et de leur captivité.