Comme pour le précédent long métrage de Fabianny Deschamps, New Territories, le financement de Isola a été compliqué compte tenu qu'il s'agit d'un film tourné en langue étrangère. La réalisatrice explique : "Faire un film rapidement dans des conditions économiques restreintes relevait d’un choix politique. Par son sujet, le film aurait pu trouver des financements, mais il y avait une urgence à donner de la visibilité à ces débarquements de migrants en Italie. Il fallait faire vite pour pouvoir filmer cette actualité. Il y a trois ans nous étions à Cannes pour New Territories, tout de suite après j’ai écrit Isola, et quatre mois plus tard nous commencions à tourner à Lampedusa. Grâce à mes producteurs, j’ai pu conserver la liberté formelle que j’avais acquise avec New Territories puisque j’étais délestée du devoir d’écrire un scénario calibré pour les commissions de financement. Isola s’est fait en deux ans, c’est extrêmement rapide. Pour moi ça n’aurait pas eu de sens de le porter pendant des années alors que l’actualité criait au dehors."
Yilin Yang était déjà la protagoniste de New Territories, mais une protagoniste perpétuellement hors champ. Cela avait créé une frustration tellement grande que Fabianny Deschamps a voulu écrire un film pour elle. La cinéaste développe : "Quand je l’ai rencontrée pour New Territories, je n’ai pas eu besoin de l’auditionner, cela a été une sorte d’évidence. Nous parlons très peu durant le travail, abordons très peu la psychologie, quelque chose nous lie dans l’approche créative qui est de l’ordre de l’instinctif. Yilin m’avait prévenue qu’elle souhaitait avoir un enfant et elle m’avait demandé quand ce serait possible au vue du calendrier du film. Je lui ai dit « soit maintenant et je réécris le film, soit dans deux ans ». Quelques semaines plus tard, elle était enceinte. C’était un cadeau inestimable, j’ai dès lors réécrit le scénario sous cet angle, l’enfant à venir, la promesse du monde qu’on lui donnera à voir. L’idée de l’enfance était centrale dès le départ, je voulais construire une fable."
Comme il est impossible de tourner une fiction dans les zones militaires et les centres de rétention, Fabianny Deschamps et son équipe ont dû ruser. Ainsi, grâce à des soutiens, ils ont pu obtenir des accès presse factices et se sont fait passer pour une équipe de télévision française dans le but d'obtenir des autorisations préfectorales. La réalisatrice se rappelle :
"Mais même dans ces conditions, les caméras demeuraient très mal acceptées, extrêmement contrôlées. Il existe d’ailleurs des centres de rétention « témoins », où les migrants sont rémunérés pour dire ce que l’on préfère entendre de leur réalité quotidienne en rétention. Parfois aussi, on nous donnait de fausses informations quant à l’arrivée des bateaux, et nous arrivions trop tard. De fait, beaucoup de scènes ont été tournées à la volée. Le débarquement que l’on découvre à la fin du film était un sauvetage d’urgence, celui d’un navire commercial qui avait récupéré des centaines de personnes à la mer. Il y a eu 500 morts cette nuit là... Nous n’avions aucune autorisation pour filmer mais nous avons profité du chaos ambiant pour nous faufiler."
Fabianny Deschamps a par ailleurs eu l’appui d’une chercheuse italienne très politisée grâce à laquelle elle a su en amont qu'il serait difficile d'accéder à ce type d'images et que le film devait se faire en clandestinité. "Hazem Berrabah, le chef opérateur, tournait avec un appareil photo, plus discret qu’une caméra. Et Yilin Yang improvisait avec un micro cravate dissimulé. Nous étions déterminés à montrer des images inédites", précise-t-elle.
Fabianny Deschamps fait à nouveau équipe avec Olaf Hund qui avait déjà composé la musique de New Territories. La cinéaste confie qu'avant son dernier court métrage (La lisière, 2009), elle avait une phobie de la musique dans les films. C'est sa rencontre avec Hund, qui n’est pas un compositeur de musique de film à l’origine, qui l'a fait changer de point de vue. Deschamps précise :
"Nous avons une grande connivence artistique et une volonté commune d’emmener le spectateur dans une expérience visuelle et sonore. L’équipe dans son ensemble est assez internationale… C’était peut-être un vœu pieux, mais nous sommes portés par des symboles, je voulais que l’équipe du film soit élaborée des deux côtés de la Méditerranée, en accord avec le sujet du film qui fait de la Méditerranée une frontière, un cimetière marin Une partie de l’équipe vient donc de Tunisie (le chef opérateur Hazem Berrabah, l’assistant image Adonis Romdhane, Julien Hecker d’Audimage et Feten Jaziri qui a collaboré au scénario…), Yassine Fadel, qui interprète le rôle d’Hichem, vient, lui, du Maroc, et le reste de l’équipe est française, italienne et espagnole."