Sunset est un projet que László Nemes portait en lui avant même de réaliser Le Fils de Saul, mais sous une forme différente. Il imaginait ainsi une femme au début du siècle dernier, de manière un peu vague, impliquant un personnage qui portait en lui le destin du XXe siècle... Le réalisateur se rappelle :
"Le projet a pris forme juste avant le financement de mon premier film. Sunset vient d’obscures interrogations personnelles sur l’Europe centrale, sa littérature, son cinéma, sa peinture et même sa photographie. Je ne suis parti de rien de spécifique, mais plutôt d’impressions. Rétrospectivement, je pense que des écrivains comme Kafka et Dostoïevski ont eu un certain impact sur moi. Les personnages de Kafka se trouvent face à un mur qu’ils ne peuvent pas franchir. C’est fascinant comme Kafka donne le sentiment qu’il est parfaitement naturel qu’il existe des obstacles infranchissables. C’est tout à fait le contraire de ce que représente le nouveau monde américain, à savoir la promesse que tout est faisable. En Europe de l’Est, rien n’est faisable. En tout cas, le récit lui-même est totalement original."
Un an après le succès de son premier long-métrage Le Fils de Saul (récompensé notamment par le Grand Prix à Cannes et par l'Oscar du meilleur film étranger), le jeune metteur en scène hongrois László Nemes réalise, avec Sunset, son deuxième long métrage.
László Nemes a travaillé le scénario de Sunset avec le monteur Matthieu Taponier et le co-scénariste Clara Royer, qui avaient tous les deux oeuvré sur Le Fils de Saul. Le cinéaste précise : "On a écrit ce film en anglais, mais on en parlait en français, et on l’a tourné en Hongrie ! Ce fut un processus bizarre. Tout cela est arrivé de façon organique. Matthieu était déjà présent comme consultant au scénario sur Le Fils de Saul et il était sans doute le mieux qualifié parmi nous pour construire la structure. C’est un film qui s’est fait entre amis. Je savais ce que je voulais et je poussais dans une direction qui me semblait juste mais on naviguait en territoire inconnu car on savait qu’on écrivait un film qui sortait de l’ordinaire."
Pour les décors, László Nemes ne voulait pas tourner en studio. Par exemple, le magasin a été construit dans une rue de Budapest. Le metteur en scène raconte : "On a bâti les décors à l’intérieur de la ville, ce qui est assez particulier. Il faut dire que Budapest a été ravagé par le nouvel urbanisme. On a réussi, néanmoins, à retrouver des rues de l’époque. Elles nous permettaient d’entrer et de sortir du décor et de communiquer avec l’extérieur. Cela nous a permis de plonger dans un environnement que nous pouvions contrôler. Nous voulions aussi créer des couches de vie autour du personnage principal. En effet Írisz essaie sans cesse d’ouvrir des rideaux qui bouchent sa vision. Grâce au décor, on pouvait créer des obstructions visuelles et rendre compte du chaos de la ville. Ainsi que de cette effervescence qui, selon moi, caractérisait le Budapest du début du siècle."
László Nemes connaissait Juli Jakab avant le tournage de Sunset. L'interprète de Írisz Leiter avait en effet déjà joué dans quelques films hongrois et le réalisateur lui avait donné le rôle d’une des jeunes femmes dans Le Fils de Saul. Il explique : "Elle était pour moi une énigme personnelle, avant d’être mon interprète. Je crois qu’on perçoit, en regardant le film, mes incertitudes à son égard ainsi que les interrogations qu’elle suscitait en moi, notamment quant aux différentes strates de sa personnalité et à l’énergie que celles-ci produisent. Je crois que je l’ai aussi éprouvée pendant le tournage. J’ai essayé de percer certains mystères et je n’ai pas réussi ! Elle porte en elle quelque chose qui va au-delà de sa personne."
Comme dans ses films précédents, László Nemes fait référence, dans Sunset, à La Terre vaine de T.S. Eliot, un texte écrit au lendemain de la Première Guerre mondiale. Il s'agit d'un poème qui fait référence à la destruction de la civilisation et à l’horreur que celle-ci produit. Le cinéaste développe : "Le texte est cité au moment où Írisz se retrouve dans une foire, sous une tente. Elle entend la femme sans visage qui chuchote des prédictions devant des hommes en train de l’écouter. Elle dit alors un extrait de La Terre vaine. Cela correspond à un moment où Írisz nourrit des doutes sur ce qu’il se passe exactement autour d’elle, et en elle. On se rend compte alors que le vernis de la civilisation est extrêmement fin. Qu’il couvre mal toutes les couches du passé qui affleurent. Ainsi que la mort qui rode en permanence. Comme on dit : la bête est tapie."
László Nemes ne comptait pas tourner Sunset autrement qu'en pellicule, un support qui lui permet de créer un cadre très défini et de repousser les limites du cinéma. Avec le directeur de la photographie Mátyás Erdély (qui avait déjà oeuvré sur Le Fils de Saul), il a hésité entre un format large, type cinémascope, et un format carré. Il se souvient :
"Finalement, étrangement, on a choisi un format qui a pratiquement été abandonné avec le numérique, le 1-85. Nous ne l’avions jamais vraiment apprécié mais ce qui nous a convaincus, c’est l’objectif sphérique. Il nous permettait d’être proche du personnage sans constituer le monde autour d’elle en spectacle. Pour ce qui est des choix chromatiques, nous travaillions avec des murs recouverts de références artistiques de l’époque : des tableaux hongrois, allemands, autrichiens, des photos. Cela dit, et c’est valable aussi pour les costumes et les décors, nous n’avons pas voulu réaliser un film qui se contente de mettre de beaux objets en vitrine. Nous souhaitions refléter la sophistication et le raffinement de cette période sans nous livrer à un étalage d’antiquaires."