Au cœur du livre de l'écrivain David Grann se trouve le peuple Osage, un peuple amérindien qui a dû quitter ses terres originelles situées dans les vallées de l’Ohio et du Mississippi pour les États du Kansas et du Missouri jusqu’à finalement s’installer (sur ordre du gouvernement américain qui l’oblige à l’acheter) sur une terre dite indienne encore plus à l’Ouest, en Oklahoma. A compter de la fin du XIXème siècle, c’est donc là que vivent la plupart des Osages.
Après la découverte de pétrole sur le territoire Osage, en 1894, les Osages deviennent extraordinairement riches car ils conservent leurs droits sur le sol et louent les gisements à des promoteurs. Des spéculateurs avides se ruent alors sur la région. Ils cherchent à profiter des Osages dans les "villes champignons" qui surgissent un peu partout (où l’activité criminelle est florissante...) et avec l’autorisation explicite du gouvernement américain de l'époque.
Un système corrompu et raciste est mis en place : les fortunes amérindiennes sont gérées par des tuteurs blancs qui récupèrent des millions de dollars de profits. Pire encore, des douzaines d’Osages sont assassinés dans les 20's. Le but ? Que les très lucratifs "headrights" (ces droits payés aux Amérindiens pour l’utilisation de leurs terres) puissent revenir en héritage aux profiteurs entrés dans des familles amérindiennes par des mariages d’intérêt.
A partir de 1925, le FBI lance une enquête à la demande du peuple Osage. C’est l’une des premières affaires criminelles que traite le "Bureau". Mais le mal a déjà été fait.
Killers of the Flower Moon est adapté de l'ouvrage du même nom de David Grann, publié en 2017. Cette même année, un projet de film émerge, avec Robert De Niro et Leonardo DiCaprio dirigés par Martin Scorsese, mais les prises ne commencent qu'en avril 2021. Les deux raisons principales à ce délai ? Le tournage de The Irishman et la pandémie de Covid-19, qui a commencé en 2020.
The Irishman (2019), le dernier film de Martin Scorsese avant Killers of the Flower Moon, était produit par Netflix et n'était pas sorti en salles en France. Il avait débarqué directement sur la plateforme de streaming.
Killers of the Flower Moon aurait pu subir le même sort. Financé en partie par Apple Studios, le film a failli atterrir uniquement sur Apple TV+. Fort heureusement, Paramount a pris les choses en main, distribuant le film dans les salles obscures.
Killers of the Flower Moon réunit les deux acteurs fétiches de Scorsese, Robert De Niro et Leonardo DiCaprio. Le premier a tourné neuf fois sous sa direction (Mean Streets, Taxi Driver, New York, New York, Raging Bull, La Valse des pantins, Les Affranchis, Les Nerfs à vif, Casino et The Irishman) et le second cinq fois (Gangs of New York, Aviator, Les Infiltrés, Shutter Island et Le Loup de Wall Street).
Lorsqu'il a commencé le livre de Grann, Scorsese a été intrigué par son titre et la possibilité, suggérée par le producteur exécutif Rick Yorn (l’agent du cinéaste et de DiCaprio), que ce pourrait être son western : "J’ai toujours voulu faire un western, mais je ne suis jamais passé à l’acte. J’ai aimé d’innombrables westerns dans ma jeunesse et je les aime toujours. Cela inclut aussi bien les films de Roy Rogers, conçus pour les enfants, que les films plus complexes de la fin des années 1940 et 1950."
"J’aimais les films construits autour des mythes traditionnels du western davantage que les westerns psychologiques. Mais l’intérêt de bien connaître l’histoire du cinéma est de ne jamais reproduire ou répéter ce qui a déjà été fait. Il s’agit de s’en inspirer et d’avancer. Ces films m’ont nourri en tant que cinéaste mais ils m’ont aussi donné envie d’aller plus loin dans l’histoire réelle."
Le film a été présenté au Festival de Cannes 2023. La presse a salué "une fresque criminelle vertigineuse, située quelque part entre le western, le film noir et la tragédie antique." "Exceptionnel" ou "Epique", Cannes s'est littéralement enflammé pour le western de Scorsese.
Leonardo DiCaprio et Robert De Niro se retrouvent après Blessures secrètes (1994) et Simples Secrets (1998). C'est d'ailleurs après avoir travaillé ensemble sur Blessures secrètes que De Niro a présenté Dicaprio a Scorsese.
Killers of the Flower Moon est inspiré d'événements réels : la série de meurtres de la tribu native Osage, en Oklahoma, dans les années 1920. Cette communauté avait fait fortune grâce au pétrole présent sous ses terres. Mais cette richesse faisait des envieux chez les Américains blancs. Ils ont, pour certains, comploté pour leur voler leurs propriétés et leurs terres, mais aussi pour les tuer de manière impitoyable.
Comment ? Par le biais de mariages d'intérêt entre des femmes amérindiennes et des profiteurs qui pourront ainsi se procurer les lucratifs "headrights", des droits payés aux Amérindiens pour l'utilisation de leurs terres, servant à l'exploitation du pétrole.
Killers of the Flower Moon n'est pas le premier film sur les meurtres d'Osage. Tragedies of the Osage Hills (1926) de James Young Deer s'y était déjà intéressé, tout comme La police fédérale enquête (1959).
Une grande partie du casting de Killers of the Flower Moon est composé de Natifs américains.
Martin Scorsese a profité des confinements de 2020 pour développer le scénario du film : "Je devais trouver un moyen de retrouver une impulsion créative singulière comme celle que j'ai eue pour Irishman. L'isolement a été très bon pour moi, bien qu'un peu exaspérant par moments. J'ai une pièce insonorisée chez moi ; j'ai été en quelque sorte enfermé dedans pendant des mois. C'était un peu comme dans mon film, Aviator, où Howard Hughes vit dans la salle de projection."
Dans une interview accordée à The Hollywood Reporter, Lily Gladstone a expliqué qu'elle avait envisagé de quitter le cinéma en 2020 pour postuler à un travail saisonnier auprès du ministère de l'Agriculture pour traquer les frelons meurtriers qui faisaient des ravages dans tout le pays à l'époque :
"Vous faites une introspection et vous vous demandez si être actrice est vraiment une activité durable. J'ai donc sorti ma carte de crédit et je me suis inscrite à un cours d'analyse de données."
Mais alors qu'elle allait rentrer son code de carte bleue, elle a reçu une notification par mail de l'équipe de Martin Scorsese pour une demande de participation à une réunion sur Zoom. Le réalisateur l'avait repérée dans les films de Kelly Reichardt et il tenait à lui offrir le rôle de Molly dans Killers of the Flower Moon.
Le livre qui a révélé David Grann est La Cité perdue de Z, publié en 2009. Un ouvrage qui a eu droit à son adaptation cinéma avec le film d'aventures The Lost City of Z, réalisé par James Gray et porté par Charlie Hunnam.
Martin Scorsese a réuni ses collaborateurs les plus fidèles pour Killers of the Flower Moon. Parmi eux, le directeur de la photographie Rodrigo Prieto (Le Loup de Wall Street, Silence, The Irishman), le compositeur Robbie Robertson (King of Comedy, La Couleur de l’argent) et la monteuse Thelma Schoonmaker (qui a participé à tous les films de Scorsese depuis Raging Bull en 1980, film qui lui a valu le premier de ses trois Oscars).
Parmi ceux qui travaillent ici pour la première fois avec le cinéaste, il y a Jacqueline West aux costumes (The Revenant) et le légendaire décorateur Jack Fisk, qui a derrière lui une carrière aussi longue que celle de Scorsese.
La ville de Fairfax a beaucoup changé depuis les années 20 : "Le Peuple Osage venait d’acheter trois km2 à côté de Main Street à Pawshuka, là où il y avait une vieille gare routière. Ils s’apprêtaient à tout démanteler pour faire un parc. Nous leur avons demandé de repousser ce projet car ce morceau de terrain fonctionnait parfaitement pour nous. Nous avons donc eu l’autorisation d’y construire notre gare. Nous avons fait venir 365 mètres de rails et une véritable locomotive. C’était l’endroit idéal."
"Pawhuska incarne Fairfax dans le film. Pour achever la construction de la Kihekah Avenue, nous avons recouvert la rue de terre. Cela a donné une unité au décor, lui a conféré une ambiance western et l’a rendu vivant. Avec tous ces efforts, la question se pose : pourquoi ne pas tourner à une demi-heure de là, à Fairfax même ? Selon Jack Fisk, Fairfax a été très abîmée au fil des années, à cause de destructions naturelles, de tornades, d’une économie en crise et du passage du temps", note Jack Fisk, en ajoutant :
"De nombreux immeubles sont condamnés. Les toits ont pourri. Il y avait trop peu de vitrines que nous pouvions utiliser en toute sécurité, contrairement à ce qu’offrait Pawhuska."
Killers of the Flower Moon a été conçu pour 200 millions de dollars, ce qui est énorme pour un film n'étant pas un blockbuster d'action. Il s'agit du long métrage le plus cher de Martin Scorsese, dépassant Gangs of New York (97 millions), Le Loup de Wall Street (100), Aviator (110), Hugo Cabret (160) et The Irishman (id.).
A noter que Leonardo DiCaprio a été payé 30 millions de dollars pour jouer dans Killers of the Flower Moon.
En amont du tournage, Leonardo DiCaprio s'est plongé dans les recherches pour interpréter au mieux Ernest Burkhart. "Il a absorbé la culture Osage et est devenu un vrai caméléon. Nous avons eu de nombreuses rencontres avec des membres de la communauté Osage et ils ont été d’une très grande aide. Nous avions d’excellents conseillers – ça a été une vraie immersion. J'ai eu accès à des témoignages de première main, venant parfois de descendants ou de parents éloignés de son personnage."
Au départ, l’adaptation signée Martin Scorsese et Eric Roth a pour héros Thomas Bruce White Sr, le Texas Ranger et agent du FBI auquel on doit la résolution des meurtres d’Osages. Puis, une autre perspective a germé : "Pourquoi faire un film sur Tom White quand il s’agit de l’histoire des Osages ?", s'est ainsi demandé Scorsese, qui s'est aussi inquiété que le rôle de Tom White soit trop limité pour DiCaprio.
"Le livre fonctionne mais le risque était que le film soit l’énième histoire d’un sauveur blanc, un agent du FBI qui débarque et résout les problèmes. David Grann a été très direct : si vous voulez en faire un film, il faut que vous compreniez le rôle des Osages dans cette histoire", ajoute le metteur en scène. Une solution narrative s'est alors présentée, provenant des transcriptions du procès et du récit qu’en fait David Grann.
"Au procès, Ernest Burkhart, un vétéran de guerre roublard qui avait trouvé du travail sur les gisements de pétrole de Fairfax. Il témoigna au sujet de sa participation dans une conspiration criminelle conçue par son oncle. Le complot consistait à épouser une fille d’une riche famille Osage puis à assassiner les sœurs, le beau-frère, etc. dans le but de récupérer leurs 'headrights'. Mollie, l’épouse, était la prochaine sur la liste."
DiCaprio ajoute : "Ça a été un moment d’émotion. Complexe et sombre... Fascinant du point de vue des personnages – le fait que ce couple soit resté ensemble après le procès. En fin de compte, ils se sont séparés. Mais Marty réussit à la perfection à donner de l’humanité à des personnages peu recommandables. C’était là que devait être le cœur du film, pas dans une enquête menée par quelqu’un de l’extérieur."
Faire du drame l’histoire d’une trahison personnelle est le point d’entrée dont Scorsese avait besoin pour s’approprier Killers of the Flower Moon : "Ernest et Mollie étaient la clef. Tout est fondé sur l’amour et la confiance, et nous voyons comment ces éléments sont trahis. Et pour quelle raison ? Pour avoir toujours plus : plus de terres, plus d’argent. Ce sujet m’attire, qui sait pourquoi ! Les racines sont à chercher du côté de mes origines."
Scorsese a trouvé des indices dans les transcriptions du procès. "Il y a un procès-verbal du témoignage d’Ernest où il donne son nom et explique 'Je traîne dans la salle de billard'. J’ai grandi avec des gens qui traînaient dans la salle de billard. Prenez un jeune qui aime bien s’habiller. De temps en temps, il détrousse quelqu’un, sort avec des femmes, quelque chose comme ça. Je peux construire ce personnage car je connais cette vie."
"Est-ce qu’il a toujours été fort ? Non, mais j’aime les personnages de faibles. Il n’est pas capable d’affronter son oncle et ceux qui l’entourent, ou alors il ne veut pas le faire. Je savais que le résultat serait au rendez-vous. Je sentais qu’on était en bonne voie, parce que le cœur de l’histoire était là : Ernest et Mollie. Nous allions créer Ernest. Découvrir qui il était grâce aux témoignages de gens qui l’avaient connu", se remémore le metteur en scène.
Dans le quotidien irlandais The Irish Time, Martin Scorsese a expliqué que les dérangeants Midsommar et Beau Is Afraid, réalisés par Ari Aster, l'ont inspiré quant au rythme de Killers of the Flower Moon : "J'aime beaucoup le style et la cadence des bons films d'horreur, tels que les Midsommar et Beau is Afraid d'Ari Aster. La mesure de ces films se rapporte à ceux de certaines séries B de Val Lewton, à La Féline de Jacques Tourneur ou encore à son Vaudou."
"C'est un peu plus lent, un peu plus tranquille. J'étais très préoccupé par le fait de laisser de la place à des scènes qui n'apportaient rien au récit d'un point de vue narratif, des scènes qui seraient plutôt relatives aux Osage et à leur culture."
"J'avais envie de figurer des scènes qui donneraient la part belle à leurs cultures — que ce soit l'attribution des prénoms aux nourrissons, les funérailles, les mariages. Je voulais que le spectateur puisse en comprendre davantage sur ce peuple, et se laisse immerger dans l'univers du film. Il s'agit de tenter sa chance. À mon âge, qu'est-ce que je suis censé faire d'autre ?"
Aux Etats-Unis, certaines tribus amérindiennes appelaient la pleine lune du mois de mai la "Lune des fleurs" (Flower Moon). Cette période correspondait à la floraison de la fleur de lune, signe d'une abondance à venir après un hiver froid et rigoureux.
Pour des raisons similaires, d'autres tribus auraient nommé la lune en fonction de l'arrivée du printemps. Par exemple, certains clans du nord appelaient la pleine lune de mai la "lune des bourgeons" ou la "lune des bourgeons de feuilles" pour célébrer les nouvelles floraisons du printemps. D'autres la nommaient "lune des semailles", car elle marquait le moment où les graines devaient être plantées pour la saison agricole à venir.
David Grann s'est inspiré de la Flower Moon pour son titre car la période d'assassinats qu'il dépeint dans son livre est liée à cette petite Fleur de lune. Il l'a ainsi détournée de son sens initial pour lui donner une connotation dramatique et sombre. En effet, cette fleur pousse dans les prairies des terres de la tribu Osage en Oklahoma, Etat américain où se sont déroulés les meurtres d'amérindiens dans les années 1920.
Sur ces terres, l'ombre mortelle de quelques hommes blancs cupides s'est répandue, versant le sang de nombreuses victimes de la tribu Osage. Cela nous ramène donc à l'histoire de Killers of the Flower Moon, les "tueurs de la Fleur de Lune".