Le Théâtre de l'opprimé est créé par le Brésilien Augusto Boal dans les années 1970. L’objectif principal est de rendre visibles des conflits sociaux et politiques, en favorisant la prise de parole de groupes d'ordinaire marginalisés et opprimés par les pouvoirs totalitaires. À partir d’une question d’actualité, la troupe interprète une scène au dénouement dramatique ; le public, interrogé par le metteur en scène, est quant à lui invité à réfléchir sur les questions évoquées. Aujourd'hui répandue dans le monde entier, cette forme de théâtre a pour ambition de lutter contre toute forme d’oppression et revendique son esprit contestataire.
Avi Mograbi n'est pas simplement dans une démarche d'aide des migrants mais cherche avant tout à construire quelque chose avec eux, afin de changer dans le même temps le regard de l'autre sur eux.
Le camp de Holot en Israël est particulier, en cela qu'il emprisonne des gens présents sur le territoire depuis déjà plusieurs années, dont certains ont parfois trouvé un travail et construit une vie sociale sur place. Avi Mograbi explique : "On a enlevé de leur vie des personnes pour les installer dans ce camp qui n’est pas une prison, mais où on les oblige à passer la nuit et à répondre à trois appels dans la journée. Cela leur interdit de trouver un travail, de voir leurs amis…". L'objectif est d'inciter les migrants à partir d'eux-mêmes puisqu'ils ne sont pas expulsables selon les conventions internationales.
Avi Mograbi reconnaît avoir été particulièrement choqué par la politique d'Israël concernant les migrants africains, en raison de l'histoire même du pays. "L’idée du film m’est venue lorsque j’ai entendu parler de l’histoire d’un groupe de vingt-et-un Érythréens, attrapés à la frontière, et qui avait été refoulés dans le désert égyptien, à l’exception de deux femmes et d’un adolescent qui avaient pu entrer en Israël", se souvient le réalisateur. "Cela m’a particulièrement choqué, parce que je me suis souvenu qu’à l’école, on m’avait appris, comme à tous les petits Israéliens, la façon dont la Suisse avait traité les Juifs arrivant d’Allemagne ou de France. On ne leur a pas accordé l’asile au prétexte que la persécution pour des motifs raciaux ou religieux n’était pas, alors, reconnue. Que ceux qui ont survécu à un tel rejet avant de fonder Israël rejettent aujourd’hui des humains comme leurs parents ou leurs grands-parents ont été rejetés me paraît incroyable".
Avi Mograbi voulait à l'origine dresser un parallèle entre les réfugiés africains qu'il suivait et les réfugiés juifs des années 1930, afin de créer un effet miroir et éveiller les consciences. Mal à l'aise à l'idée de diriger des acteurs et des personnes qui n'en sont pas, le documentariste a répondu favorablement à la suggestion de Chen Alon de mettre en place le Théâtre de l'Opprimé. "Cette collaboration avec Chen Alon, et l’expérimentation de la démarche du Théâtre de l’Opprimé, a modifié mon projet initial. Dans cette méthode, vous ne pouvez pas imposer une histoire aux participants et l’histoire doit émerger du groupe qui participe aux ateliers. Cependant, ce film garde un écho de l’histoire de ma propre famille, même si ce n’est pas filmé directement", confie le cinéaste.
Avi Mograbi a fait collaborer des demandeurs d'asile et des Israéliens pour Entre les frontières. Ainsi, en joignant leurs forces, ils peuvent encore faire tourner la pièce montée pour le film, bien que le tournage soit terminé, et permettre à un nouveau groupe de réfugiés de monter une nouvelle pièce. Il existe aujourd'hui une pièce intitulée Le Théâtre législatif de Holot et a été jouée une trentaine de fois. Le film permet quant à lui de traverser les frontières.
Il a parfois été difficile de réunir suffisamment de demandeurs d'asile pour jouer la pièce du film : "Nous ne savions jamais combien de personnes seraient présentes à chaque rencontre, notamment parce que les demandeurs d’asile vivent dans une telle situation de désespoir qu’il est difficile de prévoir et de se projeter dans l’avenir", confie Avi Mograbi. "Quand nous sommes arrivés, les gens étaient détenus là sans limite de temps et cherchaient à obtenir un visa, un statut, l’assurance de pouvoir rester en Israël et de mener une vie relativement normale. Et nous ne venions leur offrir que des ateliers de théâtre… Ils n’avaient donc aucune raison de penser que cela les aiderait à trouver une meilleure situation". Finalement, la pièce a tout de même permis de donner un coup de projecteur inédit sur la situation de ces réfugiés.