Née à Istanbul, Ceyda Torun a passé ses jeunes années parmi les chats des rues, tandis que sa mère avait peur qu’elle attrape la rage et sa soeur qu’elle ne ramène des puces. Après que sa famille ait quitté le pays quand elle avait 11 ans, Ceyda a vécu à Amman en Jordanie, puis à New York pour son lycée, sans jamais croiser un chat des rues. Elle a fait des études d’anthropologie à l’Université de Boston, puis est revenue à Istanbul pour assister le réalisateur Reha Erdem, avant d’aller à Londres travailler avec le producteur Chris Auty. Elle est revenue aux États-Unis pour fonder Termite Films avec le cinéaste Charlie Wuppermann et a depuis réalisé son premier documentaire, Kedi.
Pour filmer les chats errants, la réalisatrice Ceyda Torun a notamment utilisé une caméra embarquée sur une voiture télécommandée : "Les chats qui vivent dans la rue à Istanbul sont généralement très à l’aise avec les gens et ça leur plaisait que nos cameramen les suivent. En revanche, ils étaient plus méfiants, en présence de la voiture télécommandée que nous avions transformée en caméra. Soit ils s’enfuyaient, soit ils jouaient avec, quand ils ne l’attaquaient pas ! Ils étaient capables de fixer l’objectif géant de la caméra pendant de longs moments. Sans doute voyaient-ils un oeil immense qui les scrutait ? Ça avait l’air de les ravir d’être regardés ainsi. Nous tenions à ne pas les manipuler pour les faire « jouer »."
Le tournage de Kedi a été un vrai défi technique pour la réalisatrice Ceyda Torun et son équipe :
"Charlie Wuppermann a conçu une plate-forme pour les caméras, avec des moniteurs et un très long manche, afin de nous permettre de contrôler la mise au point. Les chats se déplacent aussi bien à la verticale qu’à l’horizontale dans toute la ville. Pour ne pas perdre leur trace, il nous fallait les avoir constamment dans notre champ de vision. Cependant, nous devions fréquemment frapper aux portes pour pouvoir accéder aux balcons ou dans les caves des gens. Si les chats se faufilaient dans des endroits interdits comme les voies ferrées ou un immeuble privé à l’abandon, nous nous séparions pour couvrir les issues les plus accessibles. Dans l’ensemble, les individus que nous avons rencontrés grâce aux chats étaient nos informateurs. Ils nous téléphonaient pour nous dire que tel chat était réapparu. Nous nous précipitions alors pour filmer. Il arrivait souvent que les chats se présentent à l’ouverture d’un café ou d’un restaurant ou bien quand une personne, qui les nourrit régulièrement, commence sa tournée. Ils avaient l’air d’avoir une horloge interne", se souvient la cinéaste.
Selon la réalisatrice Ceyda Torun, le traitement des chats à Istanbul n’est pas très éloignée du traitement réservé aux vaches en Inde. Pour la population, qui est majoritairement musulmane, les chats sont quasi sacrés. Ils sont d’ailleurs cités à plusieurs reprises dans des histoires autour du prophète Mohammed. Comparée à l’approche hygiéniste en vigueur en Europe et aux États-Unis, où les chats des rues sont capturés et pris en charge, et à celle d’Asie et des pays arabes où ils sont traités avec indifférence, l’approche choisie par les habitants d’Istanbul consiste à s’occuper d’eux tout en préservant leur indépendance : elle offre de ce point de vue une nouvelle perspective pour comprendre la culture de la ville, et plus globalement la façon dont nous appréhendons la vie.
La cinéaste Ceyda Torun a révélé que s’il n’y avait pas eu cet effet de mode autour des chats sur Internet, ce film aurait été impossible à financer et n’aurait jamais été soutenu comme il l’est aujourd’hui :
"Nous souhaitions conserver notre indépendance, en ne recevant pas de financements d’un quelconque gouvernement, ce qui nous autorisait à montrer ce que l’on souhaitait dans le film. En conséquence, notre seule option était de faire appel à des investisseurs privés. Quand nous avons rédigé la note d’intention de notre projet, nous avions peu de films sous la main auxquels nous référer. Les seuls chiffres que nous étions en mesure de fournir étaient le nombre de vues, relatif aux vidéos de chats sur Internet. Toute l’élaboration du film a été un défi pour nous car nous savions que nous voulions faire un documentaire très différent des vidéos de chats. Mais nous n’avons jamais cessé de croire qu’il y a, dans le monde entier, beaucoup d’amoureux des chats."
Pour préparer le film, la réalisatrice Ceyda Torun et son équipe se sont ’abord rendus à Istanbul à l’été 2013 dans le but de déblayer le terrain et voir quel film il était possible de faire. "Nous avons arpenté les différents quartiers de la ville et discuté avec les personnes qui s’occupaient des chats. Ce sont elles qu’on retrouve dans le film définitif", confie la cinéaste. L'année suivante, des producteurs ont fait des recherches pour l'équipe, pendant trois mois, sur le terrain. Ils ont repris le travail de repérages dans les quartiers, afin de trouver des histoires qui seraient les fils narratifs du film. "Quand nous avons débuté le tournage, nous avions 35 histoires de félins. Pendant les trois mois de fabrication du film, nous n’avons pu suivre que 19 d’entre eux car tous ne se présentaient pas aux endroits où on les attendait. Finalement, au montage, nous avons retenu les sept histoires qui forment le film définitif", relate Ceyda Torun.
La cinéaste Ceyda Torun était contente d’intégrer des références à l’Islam et à Allah, dans un contexte plus positif que celui d’aujourd’hui. "Cela explique en grande partie pourquoi les gens s’occupent des chats. Il y a en effet beaucoup de références au prophète Mahomet et aux chats qui l’auraient sauvé d’une morsure de serpent venimeux. On raconte aussi comment sa chatte s’endormait sur le bas de son habit. Quand il devait partir pour la prière, il préférait couper le tissu, plutôt que de la réveiller. C’est souvent une manière d’évoquer la compassion et le respect que l’on doit aux autres, ce qui est un fondement des enseignements du Prophète."