Brothers of the night oscille délibérément entre documentaire et fiction. Un choix qu'explique Patric Chiha : "J’avais l’impression que la fiction ou plutôt une approche fictionnelle était une meilleure réponse que le documentaire. Le documentaire, c’est plutôt quelque chose qu’on ferait sur les autres. C’est sans doute trop grossier comme séparation mais en tout cas, j’avais envie de jouer avec eux à faire un film, comme on jouerait à cache-cache, parce qu’en faisant quelque chose avec les autres, on parvient peut-être à apprendre quelque chose sur eux", déclare le réalisateur. "Je pressentais qu’en passant par le jeu, la fiction, l’artifice, je pourrais atteindre le vrai, l’intensité du réel, car s’il fallait nommer le genre, au final c’est un documentaire".
Patric Chiha a rencontré de jeunes prostitués un soir par hasard, dans un bar de Vienne. "Je faisais des repérages pour un autre film. Le bar semblait hors du temps, arrêté dans les années 70, entre tapisseries érotiques, tableaux de Sissi et miroirs dorés", se remémore-t-il. "Accoudée au comptoir, une quinzaine de garçons attendait, en veste de cuir, gel dans les cheveux, qu’un des clients les invite. Ils posaient fièrement, jouaient avec leurs couteaux et me faisaient penser aux beaux héros fragiles de Pasolini, Coppola ou Fassbinder." C'est ainsi que le réalisateur a eu l'idée de réaliser Brothers of the night.
Les lieux de tournage de Brothers of the night sont en grande majorité les espaces qu'occupent véritablement les prostitués du film lorsqu'ils travaillent. Patric Chiha a voulu les confronter à d'autres lieux, sans succès : "J’ai tenté de sortir à plusieurs reprises pour les forcer à occuper un terrain qu’ils n’occupent pas naturellement, mais ça n’a rien donné. Nous avons tourné dans leurs vrais lieux, le bar où ils travaillent (les clients sont de vrais clients), l’appartement vétuste où ils vivent à dix, la discothèque de la fin où ils passent tous leurs vendredi soirs", explique-t-il. Certains lieux plus ou moins abandonnés ont également été occupés : "on chauffait, on éclairait, il y avait à manger, des sortes de petits théâtres ou de petits studios de tournage que les garçons pouvaient occuper".
Dans Brothers of the night, les héros parlent un mélange de plusieurs langues. "Ils ne parlent pas allemand, ou un très mauvais allemand. C’était impossible de faire un film en allemand ensemble, ç’aurait été injuste pour eux. Ils parlent un mélange de romani, de bulgare, de turc, à quoi s’ajoutent quelques mots du dialecte viennois", raconte Patric Chiha. "Le premier jour, je leur ai demandé de parler bulgare pour qu’un traducteur puisse me transmettre ce qu’ils disaient, mais ils parlaient du coup une langue très scolaire, très propre, et je me suis dit que ça n’allait pas faire un film. Alors j’ai décidé de ne pas maîtriser le film, de les laisser parler leur langue et qu’on ne saurait qu’au montage ce qu’ils disaient".
Les films de Patric Chiha ont tous un rapport à la drogue : "Home c’étaient les champignons, Boys Like Us, la cocaïne, Domaine, l’alcool, et celui-là, c’est le haschisch", commente le réalisateur.
Pour être certain que ses acteurs veuillent jouer pour le film et non pour l'argent, Patric Chiha a mis en place un système simple : "C’était important pour moi de ne pas utiliser ce besoin urgent d’argent. Je voulais leur laisser la possibilité de résister au film. La solution qu’on a trouvée c’est de payer leur présence sur les lieux de tournage. On les payait à l’heure. Qu’ils tournent ou pas, ils étaient payés la même chose. Ceux qui jouent ont donc vraiment le désir de jouer. D’ailleurs, je crois qu’on sent qu’ils aiment la caméra", décrit-il.