Vous faites quoi déjà ?
Je chasse des prédateurs.
Pourriez-vous en chasser un pour moi ?
Pour la seconde fois Taylor Sheridan revient derrière la caméra et à l'écriture avec Wind River après son film inédit en France " Vile " sortie en 2011. L'on doit à Taylor Shéridan les scénarios abruptes, complexes et recherchés de "Sicario" de Denis Villeneuve, et "Comancheria" de David Mackenzie, de quoi bien mettre la puce à l'oreille. Wind River reste dans la droite lignée de ces derniers en proposant un thriller rude et brutal possédant une perception affûtée et déchirante de la narration, ainsi qu'un aspect technique adroit et inspiré le tout servie d'une mise en scène impériale. Avec ce long métrage, le cinéaste prouve et démontre qu'il ne porte pas qu'une étiquette de scénariste vu qu'il est aussi bon réalisateur qu'écrivain. Il prouve qu'il joue déjà dans la cour des grands.
Le scénario n'a rien de vraiment criard, mais c'est dans sa proposition et son traitement qu'il détone . Taylor Shérindan est un homme ingénieux car , avec une histoire d'enquête dans sa plus simple mesure , il contourne les clichés du genre et parvient à dégager de son périple une aura malsaine et sous tension d'une efficacité redoutable. Certains décrivent Wind River comme une histoire de vengeance, chose avec laquelle je ne suis pas vraiment d'accord. C'est avant tout une intrigue qui pleure ses morts et qui se centre sur l'affliction éprouvée à la suite d'un décès. Une étape sur l'épreuve du deuil et sur les calamités, le chagrin, la douleur et le déchirement liés à la perte d'un être cher. Une tribulation d'épreuves et de revers d'obstacles qu'il faut surmonter dans le malheur et la souffrance pour pouvoir tourner la page.
Les facilités sont ici laissées de côté et traitées d'une manière très personnelle , ce qui est assez impressionnant, car on nous montre que, finalement, même avec une énigme tout ce qu'il y a de plus simple , on peut faire une oeuvre d'envergure en partant sur une proposition autre qu'un format de bases établies. Par exemple, le sentimentalisme est loin d'être à l'honneur et pourtant c'est très touchant. La narration n'a rien de surabondante et se révèle même assez mutique ; les dialogues sont pertinents et suffisants, ne se caractérisant en aucun cas en un flux de paroles débitées rapidement pour prendre de la place et pour cette tentation de tout devoir décrire et expliquer. Ce besoin irrésistible du cinéaste à vouloir se démarquer se caractérise par cette faculté assez hors normes, ou du moins spectaculaire et rare, à faire avec une allégorie moindre un film profond.
A Wind River le chômage, la solitude, l'ennuie, l’isolement, et surtout le silence , règnent en maître sur tout le reste. Les décors sont justes magnifiques, in enfer glacé nappé de blanc qui offre un cadre sauvage et perdu dans le méandre de longs points de vue s'étendants sur de vastes horizons blanc. Ce qui est assez stupéfiant , c'est que, malgré l'espace spacieux décrit, on se sent enfermé et étroit comme dans un huis-clos alors que cela n'en est pas un ; certainement à cause de ce paysage immobile et insonore ainsi que cette mise en scène qui exploite adroitement cette nature allant jusqu'à lui offrir le premier rôle. Un travail de filmage remarquable qui se focalise sur des immenses étendues présentant une nature cruelle, froide et sans pitié qui nous confère un sentiment de malaise qui n'est pas sans rappeler The Revenant sans pour autant le copier.
Mais ne vous y trompez pas ... Wind River est un pur thriller noir qui frappe fort, se révélant choquant et cru à certains moments. La violence ne reste jamais éloignée, elle est partie intégrante du récit et se traduit de plusieurs façons. L'action se veut plutôt rare laissant avant tout place à l'enquête et au développement des personnages mais d'une sacrée intensité. Une tension extrême savamment maintenue, subtilement mise en avant. C'est auprès de l'héroïne qu'on s'identifie le mieux et que l'on ressent le plus de choses. Elle est la seule à arriver en inconnur dans ce monde hostile, la seule à ne pas être corrompu.
S'identifier au second personnage principal est intelligent, cela laisse libre cours au premier concerné. La frontière entre le légal et l'illégal est fragile, la loi et la justice personnelle nous confronte aux doutes de l'état des frontières démocratique en Amérique.
La démarche du réalisateur se veut autant sincère que forte, dénonçant une communauté indienne toujours en souffrance à cause de l'oppression du monde actuel. Il démontre la symbolique du fardeau du communautarisme aux frontières américaines qui n'est pas s'en rappeler "Sicario " et "Comancheria".
Taylor Shéridan fait clairement honneur à Denis Villeneuve et à bien appris à ses côtés.
Nous assistons à une description claire d'un monde où seuls les plus forts ont le droit de survivre.
Le casting est superbe ! Jeremy Renner trouve clairement ici son meilleur rôle. Habitué aux incarnations secondaires, sa prestation démontre clairement que, bien dirigé et bien écrit, il peut être un acteur de talent.
Vient ensuite Elizabeth Olsen dans, la aussi, son meilleurrôle. . Le duo fonctionne bien, parvenant à être complémentaire et crédible car traité avecp maturité. Sheridan décrit une relation tout en nuance et en réserve, mélangeant le lourd passé de Cory Lambert à celui de la novice Jane Banner, une belle écriture adroite, sans fausse note.
Taylor Sheridan s'élève au rang de réalisateur avec talent, rigueur et d' une précision qui fait mouche. Il dépeint un univers viscéral et violent, laissant libre cours au deuil et à sa noirceur - si propre à son écriture - que l'on retrouve dans Sicario et Comancheria. La direction d'acteurs est brillante et nous permet de voir Jeremy Renner et Elizabeth Olsen sous un autre jour. Il est un réalisateur que je compte à présent suivre avec intérêt.
Wind River est une expérience à part qui a obtenu 5 nominations et que je note d'un sans faute avec allégresse !