Nathalie Baye et sa fille Laura Smet sont réunies pour la première fois au cinéma. Elles ont toutefois déjà joué ensemble dans la série TV Dix pour Cent.
"Je n'avais pas de rapport mère-fille même si on jouait la mère et la fille, mais un rapport d'actrices qui s'entraident. Ça a duré près de 4 mois. Au milieu de nulle part mais c'était dans la Creuse, là où j'ai grandi. Ça m'a rapproché de ma mère : après le tournage, on s'entendait dix fois mieux qu'avant !", confie Laura Smet.
Les Gardiennes est l'adaptation du roman du même nom écrit par Ernest Pérochon et publié en 1924. "Sylvie Pialat m’avait envoyé le roman d’Ernest Pérochon, il y a environ cinq ans. Les Gardiennes est resté très longtemps sur un coin de ma table de nuit. Je ne l’ouvrais pas, mais il était là et mon regard tombait souvent sur lui. Sylvie et moi l’évoquions à chaque fois que nous nous croisions. Je sentais qu’elle entretenait avec ce livre un rapport littéraire mais aussi affectif, qu’il y avait toute une histoire… Puis j’ai fini par le lire et l’ai trouvé très fort. J’aimais, avant tout, qu’il s’agisse d’un livre mettant en scène des femmes", confie Xavier Beauvois.
Si Nathalie Baye et Laura Smet sont les têtes d'affiche des Gardiennes, c'est Iris Bry qui s'impose comme le personnage principal. Cette dernière, totalement inconnue, n'avait jamais mis les pieds sur un plateau de cinéma avant de décrocher le rôle de Francine d'une manière... insolite.
Xavier Beauvois a commencé par faire des castings avec des inconnues et des débutantes, cherchant quelqu'un pour jouer une paysanne dans les années 10. "Je ne voulais pas d’une petite actrice maniérée avec un tatouage sur l’avant-bras", indique le cinéaste. C'est par le plus grand des hasards que la directrice du casting, Karen Hottois, rencontre Iris Bry à la sortie d'une librairie. Elle l'arrête et lui demande si elle serait d'accord pour passer des essais. "Cela s’est joué à quelques secondes : un peu plus tôt, un peu plus tard, la rencontre n’aurait jamais eu lieu, et Iris, ce miracle, n’aurait jamais fait de cinéma !", confie Beauvois.
C'est ainsi qu'Iris Bry se retrouve propulsée dans le monde du cinéma, donnant la réplique à Nathalie Baye et Laura Smet. La jeune femme de 23 ans, qui passait un BEP Librairie, a très vite convaincu le metteur en scène lors de ses essais.
Les Gardiennes a notamment été tourné dans la commune de Montrol-Sénard dans le département de la Haute-Vienne, en région Nouvelle-Aquitaine. Le village représente un décor idéal pour tourner un film d'époque. L'équipe du téléfilm 1905 y avait déjà posé ses caméras en 2005.
Un comédien fait ses premiers pas au cinéma dans Les Gardiennes... et il est âgé de 78 ans ! Gilbert Bonneau a en effet été inscrit au casting du film par sa voisine et a été engagé par Xavier Beauvois pour camper le personnage d'Henri.
"On a rajouté beaucoup de jours de tournage. Et maintenant, il a le rôle principal masculin. C’est le mâle dominant du casting… Gilbert, c’est une évidence. Il a une grande intelligence et cette malice dans l’œil. On ne peut pas fabriquer un regard, ses mains…", explique le cinéaste.
Xavier Beauvois a pris de nombreuses libertés par rapport au roman d'Ernest Pérochon : "Je trouvais qu’il y avait trop de malheurs, trop de maladies, trop de morts. J’ai modifié un peu tout ça. Et puis Pérochon met en scène de nombreux enfants. Comment s’en sortir au cinéma quand on prévoit de raconter une histoire se déroulant sur trois ou quatre années ? Impossible, sauf à faire appel à une famille nombreuse pour faire jouer les enfants aux différents âges. C’est la superiorité du roman sur le cinéma. Il y a des choses qu’on peut facilement écrire mais qu’on ne peut pas filmer. En résumé, je peux dire qu’en m’appropriant le roman je n’ai pas hésité à le trahir complètement ! Mais il le fallait : ce n’est qu’en procédant de cette façon que je pouvais lui être fidèle. Et je crois qu’au bout du compte la substance du livre est en effet passée dans le film."
La ferme est même le personnage principal des Gardiennes selon Xavier Beauvois. "Nous avons vu un nombre incroyable de maisons avant de nous décider. Et d’abord dans quelle région tourner ? J’aurais aimé tourner dans le Pas-de-Calais, c’est une région quej’aime. Mais c’est là qu’était le front, et le front n’est pas le sujet des Gardiennes, bien au contraire : le sujet, ce sont les femmes à l’arrière, s’occupant
de tout en l’absence des hommes, jusqu’à ce qu’ils reviennent. J’ai ensuité pensé à La Rochelle et au Limousin. C’est là que les Américains ont débarqué au cours de la Première Guerre Mondiale. Les choses
sont alors allées assez rapidement : la région donne l’impression que rien n’a bougé depuis un siècle !
Il y a des décors qui, sur le papier, semblent parfaits, mais il suffit d’y mettre un pied pour réaliser que quelque chose ne va pas… Et là, j’ai ressenti tout de suite de bonnes ondes: c’est la bonne ferme, c’est celle-là que je veux. Elle était dans un état lamentable quand nous l’avons découverte. Nous sommes arrivés juste à temps pour dire au propriétaire : ne touchez à rien, on vous restaure tout ! Il pensait que nous le ferions « pour de faux », mais le décorateur, Yann Mégard, lui a répondu qu’il est souvent moins cher de restaurer « pour de vrai »."
Xavier Beauvois évoque ses influences sur Les Gardiennes : "Pour chaque projet, les uns et les autres me conseillent de voir ou de revoir de nombreux films. En général je préfère m’abstenir. Je veux être libre et pouvoir suivre mon instinct. En l’occurrence, il est vrai que j’ai beaucoup pensé au western. Les Gardiennes est un western, à ceci près que ce n’est pas un ranch, c’est une ferme. Ce ne sont pas des cow-boys mais des cow-girls. J’ai aussi regardé de nombreux tableaux, par exemple ceux de Van Gogh, du temps où il était très influencé par Millet. Mais je voulais éviter de faire un film trop directement pictural. On peut répérer quelques références mais elles ne sont pas si nombreuses", explique le metteur en scène.
Xavier Beauvois a décidé de tourner Les Gardiennes en numérique, une première pour le réalisateur : "En général je ne suis pas tellement du genre à aimer expérimenter des techniques nouvelles. Je préfère me
concentrer sur le film. Cependant, j’ai eu l’impression que les choses étaient désormais assez stabilisées techniquement pour que je puisse m’y mettre à mon tour. Cela m’a permis, pour la première fois, de tourner deux prises à la suite sans aucune interruption. En pellicule il y a toujours un petit truc qui oblige à tout recommencer, le clap, etc. En numérique on peut laisser tourner autant qu’on veut au-delà du temps de la prise, et cela peut donner des résultats très étonnants. La toute fin du film, le sourire que Francine adresse à la caméra, n’est rien d’autre que le sourire qu’Iris, arrivée au terme du tournage, adresse à l’équipe. En pellicule je n’aurais pu faire cela."