Ken Loach avait dit que Jimmy's Hall (2014) serait son dernier film, ce qui n'est finalement pas été le cas comme le célèbre et engagé metteur en scène livre à présent Moi, Daniel Blake. Il confie : "J’ai vraiment dit ça sans réfléchir. Il y a encore énormément d’histoires à raconter et de personnages à faire vivre à l’écran…"
Ken Loach a voulu faire ce film en réponse à une triste réalité : l'attitude de l'Etat dans sa politique de prestations sociales en faveur des plus démunis et l’instrumentalisation de l’administration (l’inefficacité volontaire de l’administration) comme arme politique. "C’est comme s’il adressait un message : “voilà ce qui arrive si vous ne travaillez pas. Si vous ne trouvez pas de travail, vous allez souffrir”", développe-t-il.
Pour se documenter encore davantage sur la précarité, Ken Loach s'est rendu, en compagnie du scénariste Paul Laverty, dans sa ville natale de Nuneaton, dans les Midlands. Sur place, les deux hommes ont rencontré, via une association tenue par une amie du cinéaste, un groupe de personnes n'arrivant pas à trouver d'emplois pour diverses raisons. C'est à partir des témoignages de ces dernières que le travail de documentation a été entrepris.
Bien qu'ayant côtoyé plusieurs tranches d'âges de personnes dans la précarité lors de la phase de documentation, Ken Loach et Paul Laverty ont voulu centrer l'intrigue de Moi, Daniel Blake sur les quinquagénaires et les sexagénaires. Le cinéaste explique : "Il y a toute une génération de travailleurs manuels qualifiés qui se rapprochent aujourd’hui de l’âge de la retraite. Ils souffrent de problèmes de santé et ils sont incapables de reprendre le travail car ils ne sont plus assez vifs pour jongler entre deux intérims et passer d’un petit boulot à l’autre. Ils sont habitués à un cadre professionnel plus traditionnel et du coup, ils sont perdus. Ils sont déboussolés par les nouvelles technologies, ils ont des problèmes de santé, et leur prise en charge par l’“Employment Support” est conditionnée par une série d’évaluations : ils peuvent très bien être jugés aptes au travail alors qu’ils ne le sont pas."
Ken Loach a tourné dans des banques alimentaires. Il nous fait part d'un incident survenu dans l'une d'entre elles, à Glasgow, et qui a inspiré le film : "Un homme s’est présenté à la porte. Il a jeté un œil à l’intérieur, il est resté là un moment, et puis il est reparti. Une des femmes qui travaillent là lui a couru après, parce qu’il était visiblement démuni, mais il n’a pas pu se résoudre à venir demander de la nourriture : l’humiliation était trop forte. Je pense que ce genre de choses se produit en permanence."
Moi, Daniel Blake a obtenu la Palme d'or au Festival de Cannes de 2016. Dix ans après Le Vent se lève, Ken Loach reçoit donc pour la deuxième fois cette prestigieuse récompense. Lorsque le prix lui a été remis, le metteur en scène engagé a fait un discours témoignant du fait que le cinéma se doit de pointer du doigt les injustices générées par des pratiques libérales toujours plus impitoyables.
Le film se situe et a été tourné à Newcastle. Ken Loach a choisi cette ville parce qu'il ne la connaît pas bien et qu'il voulait découvrir un autre endroit. Il poursuit : "Newcastle est d’une grande richesse culturelle. Comme Liverpool, Glasgow et ces autres grandes villes de bord de mer. Elles rendent magnifiquement bien à l’image, le patrimoine culturel y est très riche, et les particularismes linguistiques y sont très marqués. C’est une région qui affirme sa différence : des générations d’hommes et de femmes se sont battus et ont développé une conscience politique très solidement ancrée."
La thématique principale de Moi, Daniel Blake est le poids d’une administration particulièrement étouffante accroissant encore plus la précarité. "Quand on a affaire à une administration aussi consternante de bêtise, aussi ouvertement déterminée à vous rendre fou, on éprouve une terrible frustration qui peut donner lieu à de vraies scènes d’humour noir. À mon avis, si on arrive à raconter cela de manière réaliste, et si on réussit à percevoir les sous-entendus d’une relation entre un citoyen lambda et un fonctionnaire, au guichet ou au téléphone, on devrait en comprendre l’humour, la cruauté et, au final, le tragique. “Les pauvres sont responsables de leur pauvreté”. Voilà qui protège le pouvoir de la classe dominante", confie Ken Loach.
Dave Johns a été choisi par Ken Loach pour se glisser dans la peau du rôle-titre. Ce dernier a jeté son dévolu sur lui parce qu'il est aussi humoriste et, selon le cinéaste, les humoristes connaissent généralement bien le monde ouvrier. "Ils sont marqués par leurs origines et leur personnage sur scène s’en fait l’écho – et c’est ça que nous recherchions. Dave possède cette dimension. Il est de Byker, où nous avons tourné certaines scènes. Il a l’âge du rôle, et c’est un garçon d’origine ouvrière capable de vous faire rire et sourire – ce qui correspond à ce que l’on voulait", note Loach.
Pour se préparer au tournage, Dave Johns a suivi un apprentissage de menuiserie. Il a par ailleurs passé deux jours sous un pont, dans un endroit où les SDF peuvent se rendre et réparer des meubles, aux côtés d'un sculpteur sur bois pour apprendre à faire les poissons que son personnage Dan aime sculpter.
Moi, Daniel Blake est un projet qui a été soutenu par Why Not Productions et la société de ventes internationales Wild Bunch. La productrice "attitrée" de Ken Loach Rebecca O'Brien a par la suite été accompagnée par BBC Films et le BFI après qu'elle leur ait déposé un dossier de demande d'aide ainsi que le scénario finalisé. Elle se rappelle : "Comme tout s’est passé très vite, je crois qu’ils avaient épuisé l’essentiel de leur budget annuel, si bien qu’on n’a pas obtenu autant qu’on aurait pu l’espérer, mais nos partenaires français nous ont permis de boucler le budget. Ils ont de nouveau convaincu Les Films du Fleuve, nos partenaires belges, de nous accompagner et on a donc conclu une coproduction avec la Belgique et la France. Globalement, c’est un budget un peu plus modeste que nos derniers films, notamment parce qu’il y a moins d’acteurs. C’est davantage une œuvre intimiste."