C'est en partie pour détourner les traditionnels codes du thriller que Rodrigo Sorogoyen a réalisé Que Dios Nos Perdone. Le metteur en scène explique : "Tout a déjà été fait dans le cinéma de genre. Le pervertir un peu me stimule et j’espère que cela a le même effet sur les spectateurs. 8 citas et Stockholm étaient des films qui suivaient des schémas pour mieux basculer dans des sentiers moins balisés dans leur seconde moitié. Ce principe est encore plus présent dans Que Dios Nos Perdone. C’est une sorte de motivation personnelle pour surprendre les gens… Même si je sais que je n’invente rien avec ces ruptures."
Que Dios Nos Perdone se déroule à Madrid en août 2011, au moment des manifestations sur la place de La Puerta del Sol et de la visite du Pape dans le cadre des Journées mondiales de la jeunesse. Pour Rodrigo Sorogoyen, ce contexte particulier était idéal pour raconter cette histoire de tueur en série de vieilles dames bigotes. Le réalisateur précise :
"Nous avions vécu ce mois d’août si particulier, qui est devenu une véritable expérience de vie par le chaos qui s’est alors emparé de Madrid, très inhabituel pour cette ville. Cette situation très singulière, voire, d’une certaine manière, historique, aura mis en lumière la transition entre la tradition d’une Espagne très catholique et l’apparition d’une nouvelle génération d’espagnols qui l’est beaucoup moins. C’était le cadre parfait pour notre histoire : la visite du Pape attendue par des fervents catholiques, une partie de la population de la ville contre cette venue, et la police au milieu. Il nous fournissait une dramaturgie parfaite autour d’un tueur commettant des actes atroces mais que la police ne pouvait pas ébruiter pour ne pas amplifier la polémique autour du séjour du Pape."
Rodrigo Sorogoyen a voulu, dans Que Dios Nos Perdone, aborder le sujet de la violence, notamment via les personnages de Velarde, Alfaro et Bosque qui vivent dans un état de frustration et de colère permanent. Le metteur en scène développe : "La violence a été un sujet présent dès l’origine du film. Nous voulions aborder ses divers aspects : tant celle des hommes que celle des sociétés occidentales. Leur héritage hétéro-patriarcal fait qu’elle a toujours été pratiquée par des hommes. Il était donc fondamental qu’elle soit au coeur de Que Dios Nos Perdone."
C'est pour retranscrire au mieux le chaos de l’été 2011 à Madrid que Rodrigo Sorogoyen a utilisé le format scope en caméra à l'épaule pendant la première heure du film. Pour la seconde, le réalisateur a opté pour une image beaucoup plus stylisée. Il confie :
"Cela nourrit le plaisir que j’ai lorsque je tourne, de bousculer les choses, d’aller à rebours de ce qui était prévu. La première partie de Que Dios Nos Perdone est formellement plus rugueuse, je dirais presque plus « sale », mais on n’y est pas encore confronté à la violence. Cette première heure est surtout une mise en exposition, quasi-documentaire des personnages. C’était nécessaire pour pouvoir les plonger, dans la deuxième partie, dans un puits sans fond. L’esthétique plus stylisée de cette seconde partie est volontaire. Elle permet de faire ressortir les conséquences de la violence, aussi bien des personnages que de la société. Mais elle permet aussi, en montrant des images ou des scènes dérangeantes et en rentrant plus clairement dans la tête de ces trois personnages, d’insister sur le fait que l’on est tous partagés entre le rapport rationnel que l’on a à la violence (qui est de s’en protéger) et la fascination que l’on peut avoir pour elle."
A l'instar des thrillers espagnols récents tels que La Isla Minima ou La Colère d'un homme patient, Que Dios Nos Perdone est très réaliste, renouant ainsi avec le sens du détail, du naturalisme ou du social du cinéma espagnol des années 1950-1960. Rodrigo Sorogoyen explique à ce sujet :
"Il y a effectivement quelque chose qui tient d’un cinéma néo-Noir espagnol, mais le hasard fait que les réalisateurs des films dont vous parlez ont tous grandi (moi y compris) ou découvert le cinéma avec ces films des années 50-60, comme ceux de Juan Luis Berlanga par exemple. C’est quasiment une forme d’héritage culturel. Inconsciemment ou pas, s’en inspirer ou revendiquer leur influence, c’est une manière d’affirmer d’où l’on vient, de conserver ce lien. Mais c’est généralement le cas de toute nouvelle génération de cinéastes, quel que soit leur pays. Regardez votre Nouvelle Vague : elle s’est construite en réaction au cinéma populaire de leur époque, mais surtout sous l’influence du cinéma américain qu’elle adorait, non ?"